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  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 35 - En voie de guérison

Cendre et la Vallée Oubliée


Ce jour-là, alors que Cendre apportait à Lucas sa quatrième ration de sang humain de la nuit, elle le trouva debout et chancelant au milieu de la chambre.

- Mais qu’est-ce que tu fais debout ? Tu devrais être couché...


- Je n’en peux plus d’être inutile. Je veux partir. J’ai besoin de mes vêtements.

- Arrête de dire des bêtises. Tu tiens à peine debout. Viens t’asseoir.


Il s’effondra contre Cendre. Lucas était encore très faible et elle pouvait sentir combien il était toujours maigre à travers le tissus de sa robe de chambre. Cela lui fendait le cœur.


- Te rends-tu compte que je n’arrive même plus à prendre ma forme sombre ! Je ne suis plus un vampire, je ne suis plus rien ! s’étrangla-t-il dans un sanglot.


Déjà bouleversée de voir Lucas amoindri et si peu sûr de lui, elle s’efforçait aussi de le maintenir debout comme elle pouvait car elle percevait que ses jambes ne supportaient plus le faible poids de son corps.


- Allez, viens t’asseoir. Je t’ai apporté du sang. Et cesse de dire que tu n’es plus un vampire. Tu n’as simplement pas assez de forces pour te transformer, mais elles vont revenir.


Lucas se ressaisit et attrapa le verre de plasma qui attendait sur la table, puis il la regarda tristement :

- M’aimes-tu encore, Cendre ? Je n’entends même plus tes pensées...

- Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Moi non plus, je ne t’entends plus. Il nous faut te laisser le temps de guérir. Francis m’a assuré que cela reviendrait naturellement.


- C’est aussi Francis qui m’interdit de boire directement sur un humain ?

- Oui. Tu as été privé de plasma durant plusieurs années. Il faut donc te réhydrater tout doucement.


- Si Francis le dit, alors, écoutons-le.

- C’est le meilleur expert que nous ayons et lorsque je te regarde aujourd’hui, je pense que j’ai eu raison de lui faire confiance.


 


En milieu de matinée, ce jour-là, Alaric vint réveiller Cendre qui s’était endormie une vingtaine de minutes à peine. Il désirait ardemment s’entretenir avec sa maman et cela ne pouvait pas attendre.


Cendre, qui commençait à sombrer dans un sommeil vampirique profond, eut beaucoup de mal à émerger.

- Maman... C’est juste moi, Alaric. J’ai besoin de te parler.


Cendre s’inquiéta immédiatement.

- Qu’y a-t-il, mon chéri ? ça ne va pas ?

- Si, mais je n’arrive plus à dormir la nuit et je suis très fatigué.


Elle fit asseoir le petit garçon près d’elle car elle sentait qu’il y avait bien plus que cela.

- Il va peut-être falloir que tu te mettes à dormir la journée. Tu es un vampire et tu grandis. Il n’y a rien d’anormal à cela.


- Super ! Alors, je peux louper les cours de Jessie aujourd’hui ?

- Et ils commencent quand les cours de Jessie ?

- Dans une heure. Mais moi, j’ai besoin de dormir beaucoup plus !


- Tu sais que je n’aime pas qu’on me mente, Alaric ? Je n’apprécierais pas du tout que tu uses de subterfuge pour rater l’école.

- Je te promets que je suis très fatigué, Maman. Ce n’est pas pour sécher le cours de Jessie. Je te donne ma parole.


Cendre constata de visu que les cernes sous les yeux de son jeune fils ne dissimulaient aucun mensonge.

- C’est d’accord. J’expliquerai tout à l’heure à Jessie pourquoi tu n’étais pas à son cours. De toute façon, Jessie m’informe toujours lorsque l’un d’entre vous est absent. Tu peux aller dormir mais tu devras rattraper ton travail en retard, c’est compris ?

- Oh oui, je te le promets ! Je peux dormir avec toi ?


Cendre avait accepté et Alaric s’était assis au bord du cercueil, le regard pensif.

- J’ai l’impression que tu ne me dis pas tout. Quelque chose te contrarie-t-il ?

- Le cimetière des enfants...


- Le jardin des enfants ?

- Oui... Il est plein de tombes et j’ai l’impression qu’ils me manquent... enfin... une, surtout...

Alaric avait beaucoup de mal à exprimer ses sentiments mais Cendre désirait qu’il les extériorise. Elle réalisait que son fils avait besoin de parler et, bien que ce fut compliqué, elle était prête à lui apporter des réponses.

- Une ? Comment ça ?


Le petit vampire ne la regardait pas. Il avait les yeux dans le vague et paraissait très triste, mais il répondit malgré tout :

- Elle s’appelle Aliénor. J’ai lu son nom sur la pierre... Des fois, je crois qu’elle est là, avec moi. Je crois qu’elle n’est pas morte...


Cendre était sous le choc de cette révélation. Son fils ressentait la présence de sa jumelle et, à aucun moment, elle n’avait anticipé cela. Elle visait d’en savoir plus avant de lui dire quoique ce soit.

- Qu’est-ce qui te fait dire qu’elle n’est pas morte ?


- Je sais quand elle a mal car j’ai mal pareil. Et l’autre jour, je venais d’avoir une mauvaise note avec Jessie mais j’étais tout heureux. Un truc est arrivé à Aliénor. Je crois qu’elle, elle était heureuse, alors moi aussi. Je ne sais pas si tu comprends, Maman... Je crois que Aliénor, elle n’était pas vampire... alors elle est partie mais je pense toujours à elle. Elle a vraiment existé ?


Cendre s’était allongée auprès de son fils et ne lui cacha rien :

- Oui, Aliénor existe. Elle est ta jumelle. Elle est née une minute avant toi. Je pense que c’est pour ça que tu ressens ce qu’elle ressent.

- Elle existe encore ?

Cendre embrassa son fils :

- Oui, elle existe encore. Mais cela doit rester entre toi et moi. Un jour, vous vous retrouverez.


Alaric n’avait plus rien dit et s’était endormi, confiant et serein dans les bras de sa maman. Cendre ne s’était pas imaginé qu’une telle séparation puisse bouleverser à ce point la vie de deux enfants.

Malgré son jeune âge et des souvenirs flous, Alaric n’avait pas oublié... Et qu’en était-il d’Aliénor ? Vivait-elle le même calvaire que son plus jeune fils ? Son cœur se serrait à cette pensée.


Elle avait tout de même fini par fermer les yeux, oubliant de rabattre le couvercle du cercueil, et apaisée au contact d’Alaric. La seule mention d’Aliénor avait fait ressurgir à la surface de sa mémoire tous les autres : Amandine, Hortense, Violette, Geoffroy... Que de douleurs...

Cendre serra son fils fort contre elle puis se laissa aller au sommeil.


 

Les enfants continuaient d’étudier sérieusement. Souvent, Samuel et Clotaire se retrouvaient ensemble, toujours suivis de près par Mélusine.


Les filles, elles, se retiraient dans les chambres de l’une ou l’autre, surtout lorsqu’elles devaient plancher sur les coutumes de vampire, car elles avaient toutes les deux une opinion bien tranchée sur la question, qui n’était pas celle des garçons.


Pourtant, les quatre ados se retrouvaient souvent pour travailler. Et lorsque Blanche séchait sur un sujet, Samuel était le premier à lui apporter la solution. Avec l’âge, et la découverte de Lucas, il avait appris à s’intéresser davantage aux coutumes vampires et elles n’avaient presque plus de secret pour lui. Il avait pu réaliser à quel point ces cours-là relevaient de la pratique.


 

Et la pratique était ce qui convenait le mieux à sa curiosité inébranlable.

Cette nuit-là, alors que sa mère était partie chasser, il s’était introduit dans sa chambre. Il voulait voir à quoi ressemblait celui qu’il avait sauvé et surtout, celui qui était l’Unique de sa mère, le Grand Maître.


L’homme était assis seul devant un verre de sang. Il était maigre et semblait sans défense...Etait-ce vraiment un Grand Maître ? Samuel se posa la question. Le bougre paraissait bien faible et arborait une tenue fort peu adéquate...


Cependant, il fut auprès de lui en très peu de temps. Le Grand Maître lui faisait face dans un accoutrement certes inhabituel pour un vampire de son statut, mais son seul regard réussit à lui faire baisser les yeux et il perdit de son arrogance, sans même s’en apercevoir.


Samuel essaya de reprendre contenance lorsque le Duc s’adressa à lui :

- Que me vaut cette intrusion, fils de Cendre ? Serais-tu sans savoir que ta mère a interdit l’accès de cette chambre à toute sa famille, y compris toi ?

- Je ne l’ignore pas, Grand Maître, mais je voulais vous rencontrer. C’est moi qui vous ai ramené à ma tendre mère.

- Cela te donne-t-il le droit de pénétrer dans ma chambre sans y être invité ?


La voix du Duc était aussi glaciale que son regard, et Samuel détourna la tête. Jamais il n’avait ressenti cela auparavant... Le Duc posait sur lui un regard accusateur et inamical.


Devant la menace imaginaire, Samuel s’empara de sa forme sombre. Le Duc n’aurait qu’à bien se tenir ! Ce maigrichon sans force ne pourrait rien contre lui, Grand Maître ou non, foi de Samuel !

- Cette chambre n’est pas la vôtre. C’est celle de ma mère ! Et je suis ici chez moi, ce qui n’est pas votre cas. J’entre où je veux ! Et n’oubliez pas que je vous ai sauvé la vie !


Le Duc s’était dangereusement approché et il le fixait sans même laisser trembler un sourcil.

- Tu as fait ce qu’il fallait pour ta mère. C’est à elle de te remercier de m’avoir ramener. Moi, je ne t’ai rien demandé, jeune méprisant. Tu aurais dû me laisser là où j’étais.


Au lieu de faire profil bas devant une détresse qui lui échappa et qu’il prenait pour de la condescendance, Samuel entreprit de provoquer Lucas Lestat :

- Nous pourrions peut-être régler ce différend en duel, qu’en pensez-vous ?


Le Grand Maître qui, depuis son retour, n’avait pas réussi à reprendre forme sombre, s’en para instantanément de colère, et avança d’un pas supplémentaire vers Samuel :

- Nous pourrions, en effet, mais je doute que ta mère observe notre désaccord en toute sérénité. Je te rappelle également que tu n’as aucun droit de combattre avant les combats des héritiers. Je te conseille donc d’abandonner cette idée, et très vite.


Le Duc le foudroyait du regard et Samuel ne doutait plus de sa puissance. Ce vampire-là ne craignait rien, et surtout pas un petit vampire comme lui. Il abdiqua.


- D’accord... Je suis désolé. Vous ne direz rien à Mère de notre petite entrevue, n’est-ce pas ?

- Je ne dirai rien. Mais ne t’attaque plus à un Grand Maître comme tu viens de le faire. Tu perdrais gros.


- Merci, lui répondit Samuel. Je comprends mieux pourquoi Mère est si attachée à vous.

- Sors de ma chambre, maintenant.


Cet épisode ne fut jamais relaté à Cendre.

Lucas avait rejoint son verre de sang, heureux d’avoir pu se transformer à nouveau. Sa forme sombre lui avait redonné un peu de force et de vigueur, et il entrevoyait dorénavant un avenir possible avec son Unique adorée.

Il pouvait remercier le jeune Samuel de l’avoir fait sortir de ses gonds.


 

Cette semaine-là, Cendre réunit tous ses enfants pour leur annoncer qu’elle comptait soumettre à un vote du peuple le combat des héritiers.

- Je n’arrive pas à me décider sur ce que serait la meilleure solution parce que je pense qu’il n’y a en aucune de bonne. Alors, je vais m’en remettre à toute cette communauté qui croit en nous. Au moins, leur avis sera impartial. Et puis, cela va dans mon sens de voir un jour le peuple s’exprimer davantage.


Tous l’écoutèrent attentivement, l’air incrédule, excepté Alaric qui se demandait ce qu’il faisait là. Ces petits conseils de famille commençaient à l’ennuyer vraiment et il n’avait jamais rien à y dire.

Blanche, par contre, se choqua de la volonté de sa mère :

- Tu ne vas pas sérieusement demander l’avis du peuple ? Ils ne savent rien de nous, Maman ! Je ne peux pas y croire.


- Baisse d’un ton, Blanche, intima Cendre. C’est ainsi, voilà tout.

- Tu ne devrais pas t’opposer aux décisions de Mère. Elle ne nous demande pas notre avis, elle nous l’expose, lui dit gentiment Samuel.

Isaure était inquiète. Elle était du même avis que son jumeau mais elle appréhendait un choix qui ne leur reviendrait pas.

- Je n’ai pas envie de te combattre après nos anniversaires. Samuel... L’un de nous y restera. Et ni toi, ni moi, ne nous en remettrons.


- Elle a raison, dit Blanche. Je n’ai pas envie de me retrouver face à Clotaire lorsque nous serons tous deux jeunes adultes. Et pourtant, c’est ce qui risque d’arriver si le peuple va voter.


Tandis que Blanche et Clotaire, plus jeunes que leurs aînés, semblaient bouleversés par cette nouvelle, Isaure expliqua qu’elle voyait les choses du même point de vue que leur mère. Elle pensait intimement que le peuple avait le droit à la parole.

Samuel regardait sa sœur s’exprimer, avec beaucoup de fierté.


- Je suis persuadée qu’une communauté qui peut donner son avis sur les choses importantes, comme le combat des héritiers, est une communauté qui nous est acquise. Peu importe le vainqueur. L’essentiel est que le peuple soit derrière nous.

- Tout cela est très logique, s’enthousiasma Clotaire. Je me demande pourquoi je n’y ai pas songé avant. Trop de sentiments, certainement.


Samuel était en admiration devant sa sœur. Si le peuple faisait le mauvais choix pour eux, ce qu’il n’espérait pas, il combattrait sa jumelle très bientôt. Mais surtout, ils combattraient à égalité car Isaure était forte, très forte mentalement alors que sa propre force était purement physique. Elle serait une adversaire sérieuse.


Cendre était fière de la maturité dont faisait preuve Isaure mais elle concevait aussi que sa fille souffrit de sa décision :

- Ce ne sera facile pour aucun de nous, Isaure... surtout si le choix est fait pour des combats qui vous mettraient face à face, ton jumeau et toi...

- Maman, tu as pris la bonne décision. Samuel et moi savons bien à quoi nous en tenir. Et puis, notre combat pourrait tout de même avoir lieu, même si on attend que les petits derniers soient adultes. Nous ne sommes pas à l’abri.

- Mère, Isaure a raison... Ne t’en fais pas... Jessie nous a bien préparés à la Tradition de la descendance. C’est une prof formidable.


- Je sais que Jessie est formidable. Elle l’a toujours été. Mais mesures-tu que la théorie va bientôt devenir de la pratique ? Que vous risquez de vous perdre, Isaure et toi ? Que je vais perdre un autre de mes enfants ? Le perdant redeviendra humain et mourra. Ainsi le veut cette cruelle tradition. Mais une Grande Maîtresse se doit d’avoir un seul et unique héritier. Nous faisons tout cela pour ça.


Clotaire avait alors pris la parole malgré la tristesse de Blanche :

- Je suis avec toi, Maman. Tu as toujours pris les bonnes décisions et, même si elles sont dures, c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

Samuel était pantois devant une telle déclaration de son frère et il se dit qu’il ferait plus d’effort pour mieux le connaître.

- Merci, mon fils. Ce que tu viens de me dire me touche beaucoup, lui répondit Cendre.

Blanche, quant à elle, sentit qu’elle n’avait pas le dessus dans ces décisions qu’elle n’approuvait pas, et elle décida de ne plus rien dire.


Cendre mit un terme à la discussion pour ne pas qu’elle s’envenime dans la fratrie.

Peu importe les opinions de ses enfants, sa décision était irréversible et il faudrait faire avec. Elle avait d’ailleurs déjà mandaté Francis Caron pour informer le peuple à propos des votes qui auraient lieu dans la chapelle.





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