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  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 42 - Le prisonnier

Cendre et la Vallée Oubliée


Francis avait demandé à voir Cendre, très tôt dans la matinée ce jour-là, et en toute confidentialité.

Ce n’était pas l’ami qui était venu lui rendre visite mais le chef de sa milice qui venait l’informer d’une « situation délicate ».


Cendre le convia dans sa crypte afin de discuter en toute intimité. Les nouvelles étaient alarmantes et Francis désirait savoir comment il convenait d’agir.


Cendre le renseigna en quelques phrases sur ce qu’elle avait elle-même soupçonné ; son passé, la possibilité d’une filiation, mais un doute tout de même quant aux dates et aux évènements.


Francis enregistra tout ce qu’elle venait de dire. Cette femme n’était pas une Grande Maîtresse pour rien. Elle exposait les faits, simplement, alors que son passé d’humaine avait certainement été douloureux. Il n’était pas peu fier de la servir.


Elle lui intima l’ordre d’interroger le prisonnier sous son toit et de mener une enquête à son sujet, ce que Francis aurait fait, de toute façon ; puis elle émit le désir d’assister aux interrogatoires. Francis n’en attendait pas moins d’elle et sa Maîtresse voulait avoir le cœur net de toute cette histoire.


Il faut dire que l’histoire était plutôt inattendue.

Isaure Valrose était venu le trouver la nuit précédente, avec une histoire à dormir debout concernant un jeune homme qui avait participé au Bal des Épines et qui prétendrait être son frère.


Elle avait commencé à attirer son attention lorsqu’elle avait mentionné que le vampire en question insistait pour avoir une entrevue avec Cendre, et il avait immédiatement avisé ses lieutenants pour qu’ils fassent le nécessaire.

Le jeune Gabin avait été arrêté et transféré dans les geôles des catacombes miliciennes.


- A-t-il été fouillé ? demanda Cendre. Je ne saurais dire pourquoi mais ce jeune homme semblait m’en vouloir.

- Oui... Nous avons trouvé sur lui plusieurs armes blanches et un pieu et je ne parle même pas de l’arsenal que mes hommes ont saisi chez lui. Je ne sais pas si ces armes t’étaient destinées mais nous allons creuser.


- Parfait. Mais transfère-le d’abord dans mes cellules. Tu creuseras ici, et en ma présence. Je veux tout savoir de lui.

- Ce sera fait.


Cendre avait ensuite sommé Alaric de la rejoindre dans son boudoir.

Lorsqu’il entra dans la pièce, il fut émerveillé par le son de l’orgue. Sa mère jouait tellement bien.


Il s’approcha mais la mélodie s’arrêta.

- C’est dommage... J’aime tellement t’entendre jouer.

- Je t’ai fait convoquer, Alaric. L’affaire est sérieuse et tu vas peut-être pouvoir m’éclairer.


Alaric se demandait de quoi il s’agissait. Le ton de sa mère était des plus graves.

- Nous avons arrêté un suspect et, d’après Jessie, tu aurais longuement discuté avec lui au Bal des Épines. Je veux tout savoir de cette discussion.


- Tu ne parles quand même pas de Gabin ? Il est suspect de quoi ? J’ai discuté avec lui presque toute la nuit lors du bal. Ce gars-là est complètement inoffensif, je t’assure. C’est juste un boute-en-train.


- Parfait. Alors tu vas savoir m’expliquer pourquoi le boute-en-train a abordé ta sœur Isaure la nuit dernière dans le but d’avoir une entrevue avec moi, et pourquoi il avait autant d’armes sur lui alors qu’il comptait rencontrer la Grande Maîtresse.


- Isaure ? Comment ça, Isaure ? Elle est fragile en ce moment... Il faut la laisser se remettre... Maman, je ne comprends rien...


- Ne t’inquiète pas pour ta sœur. Elle a eu, malgré sa douleur, la présence d’esprit d’aller signaler l’incident au chef de la milice. C’est la preuve qu’elle va mieux.


- Raconte-moi tout de cette soirée, Alaric, c’est important.

- Il n’y a pas grand-chose à en dire, je t’assure. Nous avons pas mal plaisanté au sujet des filles de la soirée. En fait, je l’ai abordé pour parler de son tatouage mais il s’avère qu’il s’agissait juste d’un pari entre amis. Nous avons aussi parlé de son enfance, c’est tout. Rien ne laisse supposer qu’il soit un criminel...


- Son enfance ? Et qu’en a-t-il dit ?


- Une bien triste histoire, je t’assure. Il a été abandonné par sa mère à la naissance et a été élevé par un père violent qui semblait aussi avoir des griefs contre la mère. Le père est mort alors qu’il avait dix ans. Il a ensuite été trimballé de famille d’accueil en famille d’accueil.


- Tu veux dire que Gabin était humain ? Il n’est pas né vampire ?

- C’est ça. D’après ce que j’ai compris, il s’est retrouvé dans la Vallée Oubliée alors qu’il n’avait que dix-sept ans. Il a été transformé quelques années plus tard. Il ne m’en a pas dit plus. C’est triste, non ?


- Oui... C’est très triste.


 

Cendre n’avait pas repensé à ces évènements depuis des années. Après un accouchement difficile, elle s’était réveillée dans une chambre de l’hôpital. Oba-san, en bon « père », était à son chevet accompagné d’un parfait inconnu. Il lui avait tristement annoncé que son bébé n’avait pas survécu.


Elle avait eu tant de mal à y croire... Elle s’y était attachée à ce petit être qu’elle avait porté et, malgré les terribles circonstances de sa conception, elle avait désiré l’élever. Oba-san lui avait même promis de l’aider.


- Tu vas t’en remettre, tu es jeune, lui avait-il dit. Et tu as la peinture, c’est ta passion. Ne l’oublie pas.

Elle était bien jeune en effet du haut de ses dix-sept-ans, fragile et affaiblie aussi par ce qu’elle venait de vivre. Elle aurait tant voulu disparaître à ce moment-là...

- Je l’ai appelé Gabin, avait-elle répondu.


- C’est ce que m’a dit le médecin, et c’est ainsi qu’il a été enregistré à l’état civil.

- Merci.

L’innocente qu’elle était alors n’avait jamais mis en doute la parole d’Oba-san. Il était l’adulte, et, à ce moment-là, elle le respectait encore.


Le jeune homme qui accompagnait son père était Axel Gageure. C’est ce jour-là qu’elle fit la connaissance de celui qui, plus tard, la trahirait et deviendrait le père d’Alaric et Aliénor.

Il lui avait donné quelques paroles de sympathie et d’encouragement puis les deux hommes s’en étaient allés.


 

- Mais pourquoi, Isaure ? Pourquoi as-tu fait cela ?

- Tu ne vois donc pas que je suis venue parler à Samuel !

- Et moi je te parle de Gabin ! Tu l’as donné en pâture à la milice !


- Et que voulais-tu que je fasse d’autre franchement ? Ce type était vraiment louche et je ne pouvais pas le laisser rencontrer Maman sous un prétexte fallacieux.


- As-tu pensé une seconde que ce prétexte n’en était peut-être pas un et que Gabin était peut-être réellement notre frère ? J’ai discuté avec lui, j’ai rigolé avec lui... je ne le crois pas criminel. Il était sincère, je ne pense pas me tromper.


- Ok, mais que fais-tu de toutes les armes qu’il avait en sa possession ?

- Il les avait sûrement pour se défendre. Pourquoi voir le mal partout ?


- Se défendre ? Mais dans quel monde vis-tu Alaric ? J’ai fait ce qu’il y avait à faire. Point. Et Samuel aurait été d’accord avec moi. Ce gars-là ne peut pas être notre frère.


Cendre était en train de raconter à Lucas ce qui s’était passé la nuit précédente lorsque Francis vint les surprendre pour leur annoncer que le prisonnier avait rejoint les cellules.


- Tu sais que je peux t’accompagner, avait dit Lucas. Si cela peut adoucir ta confrontation avec lui, je suis là, tu le sais.


Cendre avait décliné la proposition. Francis lui indiqua que Lilith et le prisonnier se trouvait dans l’ancienne cellule des géniteurs. Lui-même devait se retirer.


En arrivant dans la cellule, Cendre découvrit que Gabin avait été sérieusement immobilisé. Des chaînes le maintenaient au plafond et il ne pouvait pas s’adosser contre le mur. Elle remarqua aussi ses blessures :

- Pourquoi est-il dans cet état ?


- Ne t’inquiète pas, c’est superficiel. Mais il en a fait baver à ses geôliers. Il a fallu le calmer. Nos hommes ont dû s’y mettre à plusieurs pour l’amener jusqu'à tes cellules.

- Je vois... A-t-on tiré quelque chose de lui ?


- Absolument rien. Il refuse obstinément d’avouer.

- Bien. Je vais le réveiller pour avoir une petite discussion avec lui.

- Je te souhaite bien du courage.


- Laisse-nous seuls, mais ne t’éloigne pas trop. Ah... une dernière chose : je ne veux plus que notre prisonnier soit maltraité de la sorte, tu m’as bien comprise ?

- Je transmettrai tes ordres, ne t’en fais pas.


Cendre s’était approchée de Gabin qui avait instantanément relevé la tête et ouvert les yeux.

- Je crois qu’il faut que nous parlions toi et moi. Tu voulais me tuer n’est-ce pas ?

- Je n’ai jamais dit une telle chose.


- Pourtant, nous savons tous les deux que c’est le cas. Ce que j’ignore, c’est... pourquoi...

Plus elle l’observait et plus cette histoire de filiation lui semblait crédible. Elle reçut comme une gifle son regard rempli de haine et ses paroles qui lui faisaient écho :

- Vous êtes la personne que je déteste le plus au monde.


- Me voilà prévenue et que me vaut cet honneur ?


Ses mots furent violents :

- Vous avez fait de ma vie un Enfer, vous êtes l’Enfer de ma vie ! Je vous hais et vous méprise. Votre mort seule pourrait venir à bout de mon calvaire. Et je vous tuerai, c’est une promesse !

Cendre déglutit, non pas de peur, mais de désolation. Si Gabin était réellement son fils, ce dont elle était presque convaincue, son hostilité envers elle serait une enclume écrasant son cœur de mère.

- Je reviendrai te voir demain.


Cendre avait rejoint Lilith dans le couloir.

- Fais en sorte qu’il se retrouve dans une posture inconfortable. Et tant que tu y es, supprime-lui les poches de sang jusqu’à mon retour, demain.


- Compte sur moi, ce sera fait. Ça s’est mal passé, hein ?

- Le mot est faible...


Lilith allait s’occuper du prisonnier lorsque Mélusine, qui avait sagement attendu que sa mère s’éloigne, apparut dans la cellule :

- Est-ce que je peux le voir ?


- Tu n’as rien à faire ici. Retourne dans la crypte.


La petite fille s’était quand même rapprochée de Gabin et n’avait pas été déçue par ce qu’elle avait voulu voir de plus près :

- Wow, c’est trop cool ! Quand je serai une Grande Maîtresse, j’aurais plein de prisonniers !


Lilith n’en crut pas ses oreilles :

- Quitte le quartier des cellules tout de suite ! Ici, c’est moi qui commande et si tu ne files pas très vite, je te fais enfermer pour désobéissance.

- Oh, ça va, j’y vais... mais je dirai à Mère que tu m’as menacée.

- J’y compte bien.


Mélusine s’en alla mais gratifia tout d’abord Gabin d’un bon coup de pied dans les tibias :

- A plus, Lilith !


Cendre avait écouté patiemment la plainte de sa fille à l’encontre de Lilith, sachant pertinemment que son amie n’aurait pas proféré une telle menace gratuitement. Mélusine avait encore certainement fait des siennes.

- Tu as interdiction de te rendre dans le quartier des prisonniers. Tu as encore désobéi.

- Je ne le ferai plus, je vous le promets, Mère.


Le comportement de sa fille la désespérait. Il n’y avait pas une journée qui ne passait sans que ses frères et sœurs viennent lui rapporter des propos ou des faits inquiétants la concernant, et Cendre commençait à se demander si les craintes de Lucas n’étaient pas fondées...


 

En arrivant le lendemain dans les cellules, Lilith expliqua à Cendre ce qui s’était réellement produit.


Evidemment, sa charmante fille avait omis de lui raconter qu’elle avait donné un coup de pied au prisonnier.

- Je suis navrée, Lilith. Tu as très bien fait de réagir comme tu l’as fait.


- Merci. J’ai une bonne nouvelle pour toi. Le prisonnier semble décidé à te parler...

- Nous avons bien fait d’attendre, alors !


- Il parait que tu as envie de t’épancher...

- Je vous donnerai ma version mais j’aimerais entendre la vôtre. C’est à cette condition seulement que je vous parlerai. Et aussi, si vous m’enlevez ces chaînes.


- Cela fait deux conditions. Je les accepte, mais à la moindre entourloupe, tu ne seras plus de ce monde.

- Je suis un homme de parole. Je ne tenterai rien.


Lilith avait détaché le prisonnier puis l’avait aidé à s’asseoir avant de s’éclipser. Cendre lui avait alors tendu le pack de sang qu’Alaric avait préparé à son intention.


- Hum, un vrai délice ! Merci beaucoup, je commence à me sentir mieux.

- Et si nous bavardions maintenant ?


Gabin lui avait alors raconté sa triste vie. Il était né en 2013 à l’hôpital d’Oasis Spring et il avait été élevé par un père violent et imbibé de trop de nectar, durant les dix premières années de sa vie. Lorsque son père était décédé, les familles d’accueil avaient pris le relais mais il ne s’était senti chez lui nulle part, un petit garçon trop grand qui devint adolescent et dont personne ne voulait. Il était un éternel invité, où qu’il aille.


Cendre avait de moins en moins de doutes... Les dates et les évènements correspondaient... Le père de Gabin avait été ruiné par le chef de la mafia newcrestoise qui n’avait pas supporté qu’il mette enceinte sa fille. Il l’avait alors sommé de disparaître avec le bébé et de ne jamais revenir dans le coin.


Jamais le mécène n’était revenu mais il détestait son fils autant que la mère biologique de celui-ci et Gabin en avait fait les frais durant sa plus jeune enfance. Un soir, alors qu’il était encore petit, son père qui était rentré nectarisé plus que d’ordinaire, avait tatoué le pauvre enfant qui était déjà couché dans sa chambre.

- Je dormais sur le côté... Il est arrivé derrière moi, m’a maintenu et a gravé ce croissant de lune qui n’en est pas un sur mon front en me disant que chaque fois qu’il me regarderait, il n’oublierait pas pourquoi il me déteste autant.


Cendre était sous le choc de cette révélation :

- Ce n’est pas un croissant de lune... C’est une lettre. La lettre C, comme mon prénom. Pauvre petit... Jamais je n’aurais pu savoir...


- Vous auriez pu si vous ne m’aviez pas abandonné. C’est pourquoi je vous déteste tant à mon tour.


- Je peux le comprendre mais nous sommes là pour parler et tu voulais connaître ma version alors, à toi de m’écouter.


Elle lui avait alors tout raconté, les circonstances de sa naissance, Oba-san qui lui avait dit qu’il était mort et jusqu’à la petite tombe qu’il lui avait montrée. Non, elle n’aurait jamais pu savoir car, pour elle, il n’était plus en vie.


- Si tu es mon fils, Gabin, il y a quelque chose que j’ai laissé pour toi, dans ton berceau...

- Un petit coussin bleu. Il avait une broderie dans le coin droit. Il y était écrit « je t’aime pour toujours, ta maman ». Je l’ai gardé longtemps...


Le doute n’était plus de mise. Il se regardèrent en silence, découvrant qui ils étaient l’un pour l’autre.


Gabin prit conscience que sa mère ne l’avait jamais abandonné...


...et Cendre réalisa que ce fils qu’elle croyait mort depuis longtemps et qu’elle avait presque oublié, faisait à présent partie de sa vie. Ils avaient tous deux été victimes de l’ignominie d’Oba-san.



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