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  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 3

Fantine - Manifestations inquiétantes

Les Mercenaires de l'impossible


Point de vue de Fantine

J’étais tranquillement en train de peindre lorsque de violentes douleurs d’estomac me submergèrent. Il s’approcha de moi :

- Je suis désolé. Nous faisons souvent cet effet-là aux humains, mais ça ne va pas durer. Je m’appelle Susumu, et vous ?



Mes douleurs s’estompèrent et la nausée cessa. Ce fantôme avait l’air plutôt amical.

- Moi, c’est Fantine. Vous ne ressemblez pas aux petits spectres que nous avons vus tout à l’heure...

- Ces petits spectres, comme vous les appelez, sont les âmes de personnes décédées. Elles ont trouvé leur repos, soit dans le jardin d’Eden, soit aux enfers, mais, depuis qu’une brèche s’est ouverte depuis le pandémonium jusqu’à la surface, ces âmes sont égarées. Méfiez-vous de leurs émotions.



- Et vous ? Vous êtes quoi ?

- Je suis un esprit. Mon âme n’a encore trouvé sa place nulle part. Je me trouvais à Purgo pour essayer de déterminer où mon âme devrait aller lorsque plusieurs fissures sont apparues. Ça commence vraiment à être le bazar dans l’au-delà. J’espère que vous pourrez nous aider.



- Je veux bien essayer mais je comprends rien à votre charabia...

Susumu m’expliqua alors le fonctionnement de l’au-delà. Toutes les personnes qui décédaient, voyaient leurs âmes quitter leurs corps pour se rendre, soit à Edenia, autrement appelé le jardin d’Eden, soit à Inferno, plus connu sous le nom des enfers, et dont le pandémonium était la capitale.

Si vous aviez fait le bien durant votre vie, vous vous rendiez à Edenia, sinon vous étiez conduits à Inferno.



Il existait également un troisième monde appelé Purgo, ou couloir de la purification.

- La plupart des défunts se retrouvent là-bas, comme moi, car, comme vous le savez, rares sont les personnes qui ne font que le bien, ou que le mal. Notre âme n’est ni bienveillante, ni malveillante et comme elle se situe entre les deux, nous devons la purifier pour accéder au jardin d’Eden ou aux enfers. C’est à nous de choisir et nous pouvons rester très longtemps à Purgo pour faire un choix.

Il y a quelques temps, un esprit maléfique du nom de Tempérance, qu’on appelle aussi la Tempête rouge, a ouvert une brèche du Pandémonium vers chacun de ces mondes, et elle en a aussi ouvert une vers votre monde.



- Le chaos est en train de s’installer... Ce qu’il faut savoir est que l’au-delà n’est pas un monde physique. Il est partout autour de vous et, si ses trois univers entrent en collision, toutes les forces occultes seront libérées dans le vôtre. Et au combat du bien contre le mal, le bien est rarement vainqueur.

- Rarement ne veut pas dire jamais, Susumu. Nous sommes là pour éviter ça.

- Alors, il faut vaincre Tempérance et la détruire. Et ne la ramenez surtout pas à Inferno.



Susumu avait disparu aussi vite qu’il était apparu.

Le lendemain matin, et après une courte nuit à cause des banquettes de la réception qui commençaient sérieusement à endolorir mon pauvre dos, je filai m’occuper du jardin et de nos bêtes à plumes et à ailes. J’aurais tant aimé boire un bon café noir.



Odely me rejoignit et je lui racontai mon entrevue de la nuit avec Susumu, le fantôme.

- La Tempête rouge ? Il a vraiment dit ça ?

- Oui, pourquoi cette question ?



Odely venait de se servir un jus de plasma.

- Je crois qu’il va falloir qu’on se réunisse tous. Cela fait un moment qu’on n’a pas fait de point et j’ai deux, trois petites choses à vous dire.

- Super. Je pense que ça s’impose.



Mais elle n’avait pas l’air de vouloir partir pour autant.

- Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je. Je me débrouille très bien, tu sais. C’est mon tour de m’en occuper, je le fais.

- Je le sais. J’ai un service à te demander.



Je voyais bien où elle voulait en venir, mais je ne pouvais pas :

- Ecoute, Odely, je n’ai pas très bien dormi et je suis fatiguée. Si je te donne du sang, je vais être crevée toute la journée.

Mon amie s’empressa de me dire que je me méprenais sur ses intentions.

Opaline et elle, avaient poursuivi leur traduction des textes écrits sur les murs de la réception et elle m’informa que chacun d’entre nous devrait prendre en charge, à tour de rôle, et à une fréquence de une personne par jour, les tâches nécessaires à notre survie et à la mission. C’était encore une condition pour pouvoir réussir.

Etant donné que c’était déjà à mon tour de m’occuper du jardin, elle trouvait logique que je gère également le reste et, elle finit de me convaincre en décrétant que celui qui s’occuperait de ces tâches-là, serait exempt du déblaiement des lieux. Mon petit côté paresseux se laissa immédiatement séduire par la proposition.



Odely avait atteint le niveau 4 en voyance mais elle n’avait pas pu débloquer de pièce car quelqu’un s’était amusé à acheter des toiles pour pouvoir peindre.

Elle savait bien sûr que j’étais la « coupable » mais, à ma décharge, personne ne m’avait prévenue qu’il ne fallait pas toucher à cet argent et je voulais égayer notre demeure.

Yoram et Ancelin avaient vendu ce matin, deux petites fontaines ainsi qu’un énorme vase dont personne ne voyait l’utilité, et nous avions largement récupéré la somme.



En contrepartie, Odely me demanda donc de devenir medium de niveau trois, pour que nous puissions espérer l’ouverture d’une nouvelle pièce, et je ne pouvais guère refuser après ma bourde avec les peintures.

- Ok. Je finis ça et je suis à toi.



Je n’étais pas vraiment très douée pour la nécromancie mais, à force de persévérance, je parvins à former le cercle parfait.



Aucune entité ne vint à nous, certainement parce que nous étions en journée, mais derrière nous, une porte se mit à grincer et l’impatience de ma copine put enfin prendre fin.



Nous avançâmes prudemment pour découvrir une nouvelle pièce aux allures de salle de jeux.



Sans surprise, nous constatâmes que le grand ménage serait à faire ici aussi mais, une fois nettoyé, nous aurions un lieu bien agréable dans lequel nous détendre. A la perspective de pouvoir faire la fête comme indiqué sur le parchemin qu’Amaël avait lu, nous retrouvâmes le sourire. Oui, cet endroit était idéal.



Nous étions à peine sorties de la pièce que la voix d’outre-tombe se fit entendre :

- Bravo Fantine. La prochaine étape sera d’obtenir une émotion spectrale et de m’apporter 200 §. N’est-ce pas merveilleux ? Vous auriez une cuisine ! En attendant, je vous souhaite de vous amuser ce soir !

- Il a l’air plutôt sympa, non ? dis-je à Odely après le départ de la voix dans un rire tonitruant.



- Tu veux rire ? Chaque fois que nous avons un peu d’argent, il nous le prend !



Je connaissais très bien Odely, et j’aurais presque pu mettre ma main à couper que ce qui la contrariait n’était pas un problème d’argent.

Elle me laissa en plan, décidée à réunir plusieurs d’entre nous pour nettoyer notre futur salon, dans le but de festoyer, bien sûr, mais également de vendre tout ce qu’il y aurait à vendre, une fois l’endroit déblayé.



Il commençait à pleuvoir. Le printemps n’était décidément pas clément au fin fond de cette bourgade.

Je m’aperçus que Yoram et Amaël étaient les seuls qui n’avaient pas été conviés pour le grand nettoyage du salon.



Ils étaient en train de parler sentiments, de dire que c’était complètement absurde, et j’avoue que je n’y compris pas grand-chose.

Ils semblaient contrariés tous deux, presqu’autant qu’Odely tout à l’heure, avec un soupçon de gêne en plus.



Les laissant à leur conversation, je décidai d’aller faire un peu de cuisine pour notre petite équipe. Nous avions l’habitude de cuisiner chacun dans notre coin mais ce n’était pas une bonne idée.

Puisque nous devions être, chaque jour, à tour de rôle, chargés de notre survie, j’estimai que préparer à manger pour tout le monde allait dans ce sens.



Malheureusement, ma bonne volonté fut encore mise à rude épreuve à cause des esprits maudits et je ne cessai de me couper en réalisant une simple salade de légumes.

Pourtant, il me semblait bien que la voix d’outre-tombe nous avait dit avoir levé une malédiction vaudou.

Peut-être n’y était-elle pas parvenu, finalement. Mes doigts me faisaient de plus en plus mal.



Ce n’est pas grave ! Si un esprit croyait pouvoir m’arrêter avec quelques coupures, il se trompait.

Je ferai à manger à mes compagnons d’infortune, quoi qu’il arrive. Il ne connaissait pas encore mon optimisme inébranlable.

Audric vint m’annoncer qu’ils avaient fini de débarrasser et d’assainir le salon qui serait notre lieu de fête.



Opaline et Doreen arrivèrent peu de temps après et semblaient débattre sur l’attitude « bizarre » d’Odely.

Ainsi, je n’étais pas la seule à penser que quelque chose clochait.



J’étais en train de leur faire part de mon ressenti lorsqu’Amaël se pointa, agacé et me pria hargneusement de m’occuper de mes gamelles !



Je pris le parti de lui répondre avec le sourire :

- Je pense que les mots ont dépassé votre pensée, Amaël. Vous devez être sous l’effet d’une puissance occulte. Vous n’agiriez pas ainsi, sinon.

- Et puis quoi encore ? Vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas !



Il parut prendre conscience d’une évidence qui nous torturait tous et tourna les talons d’un regard inamical.

- Vous ne savez rien de ce qui se passe. Alors ne me jugez pas. Nous verrons bien lorsque vous aurez à subir, comme moi, les affres de la tourmente.



Opaline était restée dans son coin mais elle n’avait rien perdu de notre échange bouillonnant.

- L’hôpital veut nous dresser les uns contre les autres, Fantine. Nous ne devons pas le perdre de vue.

- Nous ne le laisserons pas faire.



Suite à cela, j’avais pris l’initiative de rallumer toutes les bougies bleutées et de disposer l’orbe de verre sur la table de parcémente. Peut-être cela apaiserait-il les esprits ? Les nôtres, surtout...



Après le petit incident de la cuisine, je me rendis dans le salon pour constater avec émerveillement le travail titanesque qu’avait fourni notre équipe.

Bien sûr, je savais qu’ils avaient vendus beaucoup d’objets, mais ils avaient aussi remplacé les vieux rideaux déchirés par de nouveaux, et les lampes électriques inutiles par des bougies. La boutique « Trouves-y-tout » de Juju avait une nouvelle fois été notre providence, et notre salon avait pris les allures d’un pub particulièrement accueillant, avec un bar trônant en son milieu.



L’endroit serait idéal pour nous amuser et nous détendre un peu. Certains de mes amis en avaient bien besoin, d’autant qu’ils avaient encore prévu de réaménager la réception. Voir un sourire sur tous ces visages déconfits serait la plus belle récompense de ma journée.

Je fis donc un aller-retour rapide jusque chez Juju pour ramener quelques bouteilles de vin et de whisky, qui viendront agréablement garnir notre tout nouveau bar.



En rentrant, je passai par le jardin et y croisai Odely et Ancelin en pleine conversation. Je voulais récupérer un des chevalets afin de l’installer dans le couloir de l’étage.

Ils ne firent aucun cas de moi lorsque je repassai devant eux, le chevalet dans les bras. Leur discussion les absorbait complètement.



Cet endroit était l’endroit idéal pour peindre. Personne ne s’y rendait jamais et j’avais une jolie vue sur le village et ses montagnes.

Je n’avais pas un très haut niveau en peinture mais cette activité, loin d’être une passion, me permettait de me détendre et de penser à autre chose. Et ici, il va de soi que mes pensées manquaient de distraction.



Une heure avant la fête, le trio Amaël, Odely et Yoram était en train de se chamailler à propos de peine de cœur et de tromperie.



Audric et Opaline dormaient profondément...




... tandis qu’Ancelin scrutait la nuque de Doreen avec grand intérêt, intérêt que celle-ci ne semblait pas apprécier à sa juste valeur. Doreen se méfie des vampires. Cela a toujours été. Je crois bien que le seul qui ait grâce à ses yeux, soit Odely. Il faut dire qu’Ancelin n’a jamais rien fait pour apaiser ses inquiétudes...



A dix-neuf heures, nous étions tous au salon pour cette petite « fête » suggérée dans un vieux parchemin.

Nous nous étions tous changés pour nous mettre dans l’ambiance, même si notre espoir de passer une soirée sans compagnie spectrale, demeurait illusoire, nous le savions bien.

J’avais débouché une des bouteilles de nectar achetées dans l’après-midi et accueillit mes amis, toute guillerette, en fredonnant. Ils avaient bien mérité un petit remontant après tout le mal qu’il s’était donnés pour rendre à cette pièce, son charme passé.



Après quelques verres, l’atmosphère devint plus légère. Nous avons joué au baby-foot, aux cartes et au jeu du lama, nous nous sommes raconté des histoires et avons beaucoup ri.



J’étais sur le point d’oublier où nous étions et ce que nous faisions ici lorsqu’Odely commença à nous parler de ce qui s’était passé la nuit dernière, à la suite de la séance de spiritisme.

Yoram, Amaël et elle-même avaient été frappés par un sort, et éprouvaient les uns pour les autres une attirance romantique dont ils ne parvenaient pas à se défaire. Ils formaient une sorte de trio amoureux dont chaque membre se trouvait en proie à la jalousie si deux des autres passaient du temps ensemble, sans lui. Odely était très inquiète et cherchait une solution à leur problème.



Après les révélations de notre comparse, Ancelin s’était levé brusquement et était allé se servir dans le bar. Son visage d’ordinaire froid, était devenu glacial.

Odely s’était aussi levée, presque chagrinée :

- Ancelin... avait-elle murmuré sur ton que j’aurais juré désolé ou peiné.



- Et si vous rompiez ? suggéra Audric. Comme si vous étiez un vieux couple ? Les trucs les plus évidents sont parfois les plus simples.

- C’est vrai. J’ai essayé mais je n’y arrive pas... C’est comme si une force m’en empêchait...

Ancelin s’était rapproché d’elle, le regard rude et renfermé :

- Peut-être que tu n’en as pas envie, lui dit-il sèchement.



- Ce n’est peut-être pas si idiot que ça, ajouta Opaline qui ne faisait pas, comme moi, face à un Ancelin dont le visage se durcissait à mesure que les minutes s’écoulaient. Il me parait évident que vous êtes tous les trois sous l’emprise d’une force démoniaque malfaisante. Que vous n’ayez pas envie de rompre me parait logique... mais vous en êtes conscients. Et si conscience il y a, vous pourriez essayer de lutter contre.



Ancelin alla s’assoir derrière nous dans un grognement :

- Qu’est-ce que je disais !

J’osai alors une petite question chuchotante à Odely :

- Qu’est-ce qu’il a, Ancelin ? Ce n’est pas dans ses habitudes de s’exprimer ainsi ? Il est plutôt du genre à garder ses opinions pour lui...

Odely fronça des sourcils tourmentés et, à la réflexion, je remarquai qu’elle aussi, faisait montre de réactions atypiques, lorsqu’on la connaissait bien :

- Il est contrarié. D’ailleurs, à ce propos, il faut que je vous dise quelque chose...



Ancelin n’avait pas traîné pour se lever à nouveau et apparaître, en une fraction de seconde derrière Odely. Son regard s’était adouci mais il était si triste qu’un frisson me parcourut involontairement. Il s’adressa à elle d’une voix presque suppliante :

- Ne fais pas ça, Odely...

Amaël, dont les verres de nectar s’étaient succédés, les uns derrière les autres, ne parut pas s’apercevoir de la pesanteur de la situation :

- Si, si !! Nous on veut savoir, s’exclama-t-il lourdement.

Odely me regarda d’un air entendu :

- Ancelin n’est pas prêt. Nous y reviendrons plus tard.



Ancelin était allé prendre un siège un peu plus loin, près de la cheminée. Amaël avait entrepris de s’activer en débarrassant les verres abandonnés, et Yoram semblait accablé, se demandant comment il allait résoudre cette malédiction de trio amoureux.

Notre petite fête avait pris l’apparence d’une lutte silencieuse entre nos deux amis vampires, une lutte dont nous étions les observateurs nigauds qui n’en saisissaient pas toutes les subtilités.



L’ambiance était devenue tellement tendue que je finis par lever un nouveau verre pour porter un toast à notre belle soirée.



Je réussis même à dérider Odely et Yoram avec des histoires abracadabrantes. J’étais assez fière de moi.



Ancelin et Odely parvinrent même à communiquer. Enfin... il me semble...



Et le reste de l’équipe repartit à se gorger de discussions souples et pétillantes, comme si ce qui venait de se produire, n’avait été qu’une parenthèse.



C’est ce moment-là que je choisis pour m’éclipser et me rendre jusqu’à la réception.

Nous n’avions encore croisé aucun fantôme de la soirée et, pourtant, la nuit était déjà bien avancée...

N’en voir aucun m’avait attristée... C’est vrai que Doreen avait insisté pour allumer les bougies bleutées lors de la fête parce qu’elles amoindrissaient nos peurs et nous rendaient plus sereins, mais c’était une fausse bonne idée. Nous devions rencontrer les fantômes et les esprits de l’hôpital si nous voulions les vaincre ; j’en étais persuadée.

Plus vite je partirais d’ici, mieux je me sentirais.

J’éteignis alors toutes les bougies magiques. Voilà, c’était chose faite.



Pour obtenir une atmosphère digne d’une séance de spiritisme, j’éteignis également les deux-tiers des bougies de la pièce pour me plonger dans le noir, puis j’activai la table de Parcémente avec un cercle parfait.

Plusieurs visages défilèrent au centre de l’orbe de cristal. Lors de mes séances précédentes, je n’avais jamais ressenti cela, mais j’eus l’impression d’entrer en transe et de me sentir transpercer par toutes ces âmes qui ne demandaient qu’à me transmettre leur histoire.

Je passai, alternativement, de la joie à la peine, ou de l’anxiété à la sérénité, lorsque, subitement, tout s’arrêta.



Les lumières se rallumèrent... Je ne parle pas de celles que j’avais éteintes mais d’une autre lumière qui ne jaillissait d’aucune bougie ou d’aucune autre source dont on dirait qu’elle est rationnelle. Elle ne provenait de nulle part mais éclairait suffisamment la pièce pour m’apeurer.

Je poursuivis malgré tout, mais un rire inhospitalier vint me figer les entrailles en même temps qu’un froid glacial qui envahit rapidement tout mon corps. Une voix se fit entendre, austère et inamicale, et elle ne ressemblait en rien à celle que nous avions précédemment entendue :

- Quittez les lieux ! Ce passage est à moi et quiconque tentera de le refermer sera maudit à jamais. Je vous aurai prévenue !

Des frissons venus de nulle part me parcoururent tout entière et j’avoue que je n’en menais pas large.



Puis la pièce s’assombrit et redevint ce qu’elle était avant.

Je ne m’en étais pas rendu compte mais j’avais arrêté ma séance de voyance...

J’étais abasourdie, comme hébétée. Jamais je n’avais ressenti une telle peur.



Je fis craquer une allumette pour vite rallumer les bougies. Il me fallait de la lumière.

J’ignorais qui était l’esprit qui avait le pouvoir sur tous les autres mais il nous voulait du mal, et je m’en voulais de ne pas lui avoir fait savoir qu’il ne nous impressionnait pas.



Yoram m’avait rejointe, un verre à la main, alors que j’étais encore sous le choc de cette rencontre spirituelle malfaisante. De toute évidence, la fête continuait dans le salon.

En voyant ma mine défaite, il me questionna abruptement, sa nature extraterrestre ne laissant aucune place à la subtilité. Je savais, malgré cela, que Yoram était un gentil garçon, et je lui racontai sans rien omettre, ce qui venait de m’arriver.



Le besoin de me confier était plus fort que tout, certainement parce que je ne voulais pas que la peur m’envahisse davantage qu’elle ne le faisait déjà.

Yoram trouva les mots pour me rassurer et calmer une angoisse pourtant grandissante. J’avais déjà, à plusieurs reprises, remarqué que notre ami sixamien avait ce genre de pouvoir relaxant sur nous autres, humains, mais c’était la première fois que j’en ressentais personnellement les bienfaits, et ils tombaient à un moment opportun.



Tout pris que nous étions par notre conversation, nous n’avions pas vu Audric passer derrière nous et se diriger discrètement vers le jardin.

Ce fut un faible cri stupéfait qui nous alerta, ou plus exactement, qui alerta Yoram dont les oreilles détectaient tous les sons. Son ouïe était comparable à celle d’un sonar et surpassait celle d’un vampire. Dans l’air, dans l’eau, ou sous terre, Yoram pouvait ressentir toutes les propagations particulières du son. Rien ne lui échappait.




Je me précipitai alors sur le perron du jardin... Audric avait disparu et, seules, quelques petites sphères d’énergie résiduelles, flottaient dans l’air, insaisissables.



Je tournai les talons pour rejoindre la réception et, accessoirement, m’en prendre à Yoram.

- Tu peux m’expliquer pourquoi tes amis ont enlevé Audric ?

- Ce ne sont pas mes amis. Ce ne sont même pas des Sixamiens. Si je me fie aux signaux, ce sont plutôt des Vénusiens. C’est une race de pollinisateurs.



- Tu plaisantes, j’espère...

- Non, mais ce qui m’étonne, c’est qu’ils survolent la planète Sims. Ce n’est pas leur secteur, d’ordinaire.

- Mais que vont-ils faire d’Audric ?

- Ils vont nous le ramener, ne t’inquiète pas. Ils procèdent toujours de cette façon.



Yoram n’avait pas l’air inquiet, aussi je décidais de ne pas l’être moi-même. Nous convînmes d’attendre quelques heures avant d’alerter les autres, jugeant inutile de céder à la panique et d’affoler tout le monde.

Il était temps pour moi de manger, de toute façon. Je sortis quelques ingrédients du frigo afin de préparer une salade lorsqu’Ancelin apparut près de moi avec son regard énigmatique. Je me demandais à quoi il pouvait bien penser derrière ses yeux de glace...

- Si tu as faim, va faire un tour dans le quartier, ou demande à quelqu’un d’autre. Moi, je suis crevée.

- Fais pas cette tête, je me contenterai de plasmafruits ce soir...

- Super ! Et ça te dit une petite séance de spiritisme après le dîner ?



Je ne voulais pas rester sur un échec et comptais bien renouveler l’expérience, à quatre cette fois. Ancelin avait dit oui, il ne me restait plus qu’à trouver deux autres volontaires.

Je me rendis au salon avec mon bol de salade pour tenter de rallier mes amis mais, seule Odely accepta tandis que les trois autres préféraient rester s’amuser.



Le quatrième serait donc Amaël, en espérant qu’il s’accommode de la présence d’Odely à la même table que lui. Leur histoire de trio amoureux ne simplifiait pas les choses...

C’est en partant à sa recherche que je tombai sur Audric qui franchissait le seuil de l’hôpital.



- Que s’est-il passé ? Ils ne t’ont pas fait de mal, au moins ?

- Pas du tout. Ils étaient même plutôt sympas.



Il m’expliqua que les très performants radars du vaisseau vénusien avaient détecté une anomalie dangereuse dans notre secteur, et que ses hôtes l’avaient « invité » à venir à bord pour déterminer de quoi il s’agissait, avant de démolir entièrement l’hôpital.

Audric leur avait expliqué de quoi il retournait et les avait dissuadé de faire une bêtise qui ne solutionnerait pas le problème. Devant l’exposé de notre ami et prenant conscience que les phénomènes qui se produisaient ici dépassaient de loin les murs de l’hôpital, ils abandonnèrent leur idée de raid aérien avec l’assurance que nous ferions tout notre possible pour chasser le danger qu’ils estimaient imminent.



- Et bien ! J’ai l’impression qu’on l’a échappé belle...

- Tu peux le dire. J’ai pu voir le missile qu’ils prévoyaient de lancer... Un truc que j’avais jamais vu avant. Plus personne n’aurait été là pour en parler.



Audric accepta de se joindre à nous pour la séance de spiritisme et nous essayâmes, ensemble d’invoquer les morts, puis les esprits.



Après notre petite expérience, plusieurs choses se produisirent ; tout d’abord, Odely aperçut par la fenêtre de la cour, un petit spectre bleu. Je sortis en courant pour tenter de communiquer avec lui mais, à peine lui eussé-je offert la dernière toile que j’avais peinte, qu’il se volatilisa, laissant derrière lui, de la cire de bougie.



Au même moment, Opaline, qui traversait la pièce des artistes, vit apparaître, à ses pieds, une inscription lumineuse qu’elle eut juste le temps d’éviter.



Et Odely, qui avait quitté la réception pour se rendre aux sanitaires, eut le droit à une douche inattendue alors qu’elle était en train de brosser ses canines.

Amaël constata également que les toilettes de la deuxième salle d’eau venaient de nous lâcher. Des réparations allaient s’imposer.



Si certains d’entre nous restaient calmes face à cette situation nouvelle, d’autres, comme Opaline, avaient eu tellement peur, qu’il était difficile de les rasséréner.



D’autres encore, comme Ancelin, étaient complètement à cran, ce qui semblait amuser Amaël. J’étais quand même curieuse de savoir si ce qui le mettait dans cet état était dû à l’ambiance de l’hôpital, ou bien s’il avait un petit creux car, quelque part, je me doutais bien que les plasmafruits du frigo ne suffisaient pas à apaiser sa soif...



Doreen aussi faisait triste mine, mais elle soigna sa nervosité en allant patauger dans la fontaine. Elle avait juste négligé d’ôter ses chaussures...

Je pense intimement que cet endroit nous fait parfois perdre la raison au point qu’il nous arrive d’en oublier les évidences.

Il me fallait absolument me détendre avant de me coucher, et peindre un peu réussirait sûrement à me faire oublier que nous n’avions plus qu’un seul toilette et un seul lavabo pour huit.



En montant à l’étage, pour rejoindre mon chevalet, je glissai sur une substance visqueuse, sans rien autour pour pouvoir me rattraper.



Je m’échouai lamentablement au sol, à plat dos.

J’avais si mal que je pense que j’ai dû rester plusieurs minutes, sans bouger, dans la même position.



Je parvins tout de même à me relever tant bien que mal avec une douleur qui ne disparaitrait sûrement pas avant plusieurs jours. J’étais en pétard. Heureusement, je n’avais rien de cassé, mais je me demandais si l'entité invisible qui m'avait effrayée tout à l'heure n'était pas responsable de ma chute.



J’allais faire demi-tour lorsque j’aperçus un petit spectre bleu, identique à celui que j’avais croisé plus tôt dans la soirée derrière la porte d’une pièce dont nous n’avions pas encore l’accès.



J’allumai les bougies puis tentai, vainement, d’ouvrir cette fichue porte. L’espoir fait vivre, dit-on. Elle s’ouvrira certainement un jour, mais, en attendant je ne parvenais pas à communiquer avec cette âme égarée.


Il était grand temps que cette journée se terminât. Finalement, je peindrai demain, ou un autre jour... Je ressentais de violentes douleurs dans le bas du dos et une sensation de brûlure aux endroits où mon corps avait touché la matière gluante mais, bizarrement, j’avais froid, très froid.



Je redescendis au salon pour conter ma mésaventure à Ancelin et Yoram qui devaient être les seuls à être encore debout à cette heure tardive.

Yoram était encore en train de manger... Je comprends mieux maintenant pourquoi les petites salades que j’ai préparées dans la journée ont aussi vite déserté le frigo commun... Yoram, bien qu’extrêmement gentil, est malgré tout un vrai glouton. Ce n’est pas pour huit qu’il faudrait prévoir les repas, mais pour une armée.

Ancelin s’entrainait au jeu du lama car il avait perdu tout à l’heure et entendait une revanche bien méritée. Sa fierté de mâle avait pris une claque face à Doreen, Opaline et Odely.



Ils écoutèrent attentivement les détails de ma mésaventure puis j’entrepris d’aller me coucher près de la cheminée pour me réchauffer. Je grelottais et eus un mal fou à m’allonger tant mon dos me faisait souffrir. Lorsque j’eus enfin trouvé la position qui me convenait le mieux, je ne me sentais pas encore très bien, mais j’espérais qu’une bonne nuit serait favorable à mon rétablissement.

J’entendis, au loin, les voix de Yoram et Ancelin qui s’estompaient peu à peu. Mon esprit se vida doucement des évènements de la journée, les bûches crépitaient dans la cheminée, et mon corps engourdi se relâcha doucement, me laissant glisser vers un sommeil bienfaisant.





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