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  • Photo du rédacteurNathalie986

Semaine 8

Deuxième année - Printemps


Ma petite sœur était une vraie petite princesse. Elle était la petite dernière et il y avait toujours quelqu’un à la maison pour prendre soin d’elle, moi y compris.


Elle grandissait à vue d’œil et nous faisait maintenant de jolies petites risettes. Je savais qu’elle nous reconnaissait tous et ses petits éclats de rire nous faisaient fondre tous autant que nous étions et Mathurin ne faisait pas exception.


Mathurin reçut cette saison-là, sa lettre d’admission à l’université. Inutile de vous dire qu’il était heureux comme tout. Il allait pouvoir s’inscrire à l’université de Foxbury pour suivre un cursus prestigieux en informatique. Il touchait du doigt son rêve de devenir ingénieur informaticien.


Evidemment, cela supposait qu’il allait vivre sur le campus et que nous le verrions moins souvent mais Papa et Maman savaient depuis longtemps que mon frère n’était pas destiné à s’occuper d’une ferme. Il allait me manquer.


Papa et Maman avaient l’air très fiers de sa réussite pour l’examen d’admission et ne cessait de le féliciter. Mathurin avait même trouvé une petite maison à Gibbs Hill, colline idéalement placée entre les universités de Britechester et de Foxbury et qui abritait la célèbre bibliothèque nationale des sims ainsi qu’un pub qui permettait aux étudiants des deux universités de se réunir pour des moments amicaux.


Mon frère avait prévu de partager son logement avec Claire Moreau ce qui fit le bonheur de Papa sans que je ne comprenne vraiment pourquoi il montrait autant d’enthousiasme. Claire était notre amie depuis l’enfance et je ne voyais pas en quoi il avait l’air de trouver cela extraordinaire.

Claire vint chercher Mathurin vers seize heures et ils partirent à la fin de la journée.


Le printemps était revenu et la nature se réveillait doucement, nous révélant toute sa beauté après plusieurs mois d’une torpeur bienfaisante.


Il faisait encore frais mais les feuillages devenaient verdoyants, les fleurs commençaient à arborer fièrement leurs jolis pétales et les abeilles faisaient entendre leurs bourdonnements au fond du jardin.


Les animaux aussi semblaient sortir de leur léthargie hivernale et quittaient plus volontiers l’étable ou le poulailler.


C’était la saison idéale pour faire découvrir à Naya la joie des promenades en forêt et cela me permettait aussi de prendre l’air et d’explorer la forêt de Bramblewood que je ne connaissais que très peu.


Pendant que ma chienne gambadait, heureuse de ne pas être tenue en laisse, je réussis même à me lier d’amitié avec une volée d’oiseau et certains d’eux eurent même l’audace de venir se poser sur ma main, pour mon plus grand bonheur.


Papa avait achevé ce jour-là la construction du moulin sur lequel il travaillait depuis avec Jérôme Moreau, le père de Claire, depuis plusieurs mois. Et il n’était pas peu fier de son travail. Il faut dire que l’édifice était imposant et devait se voir d’aussi loin que le phare de Brindleton Bay.

Je savais que ce moulin était un rêve qu’ils avaient eu avec Maman lorsqu’ils se sont connus et je suis vraiment heureuse qu’ils puissent aujourd’hui en profiter avant d’être trop vieux.


Depuis que Maman avait mis au monde ma petite sœur Jeanne, j’avais pris la relève pour m’occuper des ventes tous les après-midi. Je n’avais pas la fibre commerciale mais nos pétillants aux fruits et nos gâteaux étaient déjà connus et, Naya était toujours près de moi pour m’encourager, alors, ce n’était pas très compliqué.


Les clients venaient jusqu’à la ferme Bellecour les yeux fermés et avait toute confiance en les produits que je leur proposais. Les bouteilles de lait et les légumes géants, que j’avais introduits peu à peu, commençaient même à avoir du succès et le bouche à oreille semblait fonctionner, pour ma plus grande fierté.


Je reçus cet après-midi-là un appel de Mathurin. Il était parti se promener dans la forêt de Bramblewood et souhaitait que je l’y rejoigne.


Je remballai aussitôt mes marchandises, les remis au frais, et allai chercher Naya puis nous partîmes pour Bramblewood.

Mathurin m’attendait près d’une aire de pique-nique.


- Alors comme ça, tu viens te promener seul en forêt ? Je t’aurais plutôt sillonner le campus et écumer ce fameux pub dont tous les étudiants parlent.

- Je n’étais pas tout à fait seul.


- Ah bon ?

- J’étais avec Julien jusqu’à ce que je t’appelle. J’ai rompu avec lui.


- Et on peut savoir pourquoi tu as fait ça ? Il me semblait que tu l’aimais bien ce garçon, pourtant...


- Il était trop jeune pour moi. Nous avons eu de bons moments mais nous étions adolescents. Nos centres d’intérêts sont complètement différents à présent. Il me semble que ce que nous avions en commun n’existe plus.

- Oh... et bien j’imagine que tu vas trouver plein de beaux gosses sur le campus !


- N’y compte pas trop. Je pense que je vais essayer les filles. Pour tout te dire, ce n’est pas un hasard si Claire et moi avons pris une colocation ensemble.


À ses mots, je me redressai, complètement abasourdie. Mon frère m’avait confié, il y a plusieurs années en arrière, ses préférences sentimentales et il n’avait jamais été attirée par les filles :

- Tu plaisantes, hein ? C’est quoi cette histoire ?

- Je suis tout à fait sérieux.


J’abandonnai alors Naya pour me rapprocher de Mathurin qui n’avait absolument pas l’air de galéjer.

- J’ai entendu une conversation entre Papa et Maman, il y a quelques temps...

- Quel genre de conversation ?


Mathurin m’expliqua alors qu’il avait surpris une conversation entre nos parents et combien Papa avait paru inflexible au sujet de l’homosexualité.

- Je ne veux pas le décevoir, je ne pourrai jamais le décevoir.


Mathurin venait de sortir son cahier de cours. Il parlait de déception mais lui aussi avait l’air tellement déçu...

- Tu es sûr de ce que tu as entendu ? Tu n’aurais pas pu mal interprété ? lui demandai-je.


- Papa a clairement dit qu’il ne voulait pas que je sois homo. Je n’ai rien interprété, j’ai entendu clairement ses paroles. Alors, tu vois, je vais devenir un hétéro digne de ce nom. Et Claire va m’y aider.


Je le regardai aligner tranquillement des mots derrière les autres mais j’étais complètement atterrée.

- Ne dis pas cela, s’il te plait... Tu vas aller contre ta nature, je le sais...


- On ne sait rien, Thérèse. On ne fait que supposer, et, peut-être que cette vie avec Claire me réussira. Elle est partante pour essayer alors même qu’elle a toujours su que j’aimais les garçons.


Je n’étais pas persuadée que Mathurin ait trouvé la bonne parade à la réaction de notre père et lui suggérai d’aller plutôt lui en parler :

- Papa n’aimerait pas te savoir malheureux.

- Papa a déjà tout dit à Maman, je crois.


Mathurin ne démordit pas et m’annonça tout de go que Claire et lui avaient prévu de se marier, ce que je trouvai complètement insensé et prématuré. Il s’était mis dans la tête que Claire était suffisamment amoureuse de lui pour les rendre heureux tous les deux.


Il m’accompagna à la maison pour célébrer l’anniversaire de Jeanne avec nous.


Puis lorsque nous eûmes terminé le repas, il annonça sa grande nouvelle à nos parents qui trouvaient, eux aussi, que Mathurin était encore jeune pour se marier. Je ne pus m’empêcher de le regarder avec un sourire de satisfaction.


Papa et Maman l’avaient bien évidemment questionné sur son avenir. Qu’allait-il advenir de ses études ? Comment allait-il pouvoir subvenir aux besoins de son foyer avec sa seule bourse universitaire pour revenu ? Je les sentais inquiets.


Mon frère avait réponse à tout. Claire allait travailler jusqu’à ce qu’il obtienne son diplôme et, ensuite, il prendrait le relais. Papa et Maman eurent l’air satisfaits de la réponse mais je me demandais si leur petit arrangement durerait sur la longueur. Il faudrait que j’arrive à discuter avec Claire.


Mathurin partit peu de temps après en laissant notre père fou de joie à l’idée de marier prochainement son fils.


Je me demandais vraiment qu’elle allait être l’issue de toute cette histoire car je sentais qu’elle aurait une issue des plus désagréables. Je me pris alors à regretter l’insouciance de mon enfance.


Avec l’anniversaire de Jeanne, mes parents et moi avions transformé ma chambre d’adolescente en une jolie chambre pouvant aussi accueillir ma petite sœur.


La construction du moulin ayant pris beaucoup de temps et d’énergie à Papa, l’agrandissement de la bâtisse avait été reportée à plus tard. J’avais donc proposé de partager ma chambre avec Jeanne afin que mes parents puissent profiter de leur intimité.


Le soir était le moment que je détestais par-dessus-tout. Je pensais à Mathurin, bien sûr, et à sa lubie de vouloir se marier, mais aussi à Rahul qui m’envoyait des cartes postales de tous les endroits qu’il visitait.


Cela me rendait triste et je doutais qu’un jour il revienne du côté d’Henford-on-Bagley. Il avait l’air tellement heureux que cette éventualité semblait s’éloigner à mesure qu’il m’écrivait.


Heureusement la journée me donnait tant d’occupations que je n’avais plus le temps d’y songer. Jeanne m’accompagnait souvent lorsque je m’occupais des animaux et elle prenait plaisir à m’aider ou à me regarder.


C’était un plaisir pour nous tous de la voir ainsi s’épanouir près de nos bêtes. Elle avait même lié une amitié avec Marguerite qui ne se lassait pas de ses câlins.


Jeanne était à l’aise partout dans la ferme et elle aimait beaucoup courir après les poules, m’aider à distribuer la nourriture ou ramasser les œufs, lorsqu’elle arrivait à se lever le matin.


Mais elle n’en oubliait pas Naya pour autant.


Notre chienne appréciait beaucoup ses caresses mais elle avait en ce moment, d’autres préoccupations.


Pourtant, même après l’avoir encourager à s’accoupler, à maintes reprises avec ce chien appelé Kiwi ou avec d’autres, les échecs se succédaient et je ne savais plus quoi faire. Peut-être que Naya était simplement difficile sur le choix de son partenaire.


Ce matin-là, Maman avait tenu à se rendre à Henford avec moi.


Elle voulait présenter Jeanne à son amie Sarah tandis que je m’occupais des courses.


C’est alors que j’appris d’Agatha que Lavina inaugurait en ce moment-même un marché communautaire situé sur les hauteurs de la forêt de Bramblewood et elle me conseilla vivement de m’y rendre.


L’idée plut tout de suite à Maman qui s’excusa auprès de Sarah pour m’accompagner. Lavina était très heureuse de nous voir et nous accueillit chaleureusement, comme à son habitude.


Elle me raconta recevoir fréquemment des nouvelles de Rahul et m’apprit qu’il lui parlait sans cesse de moi, que ce soit au téléphone ou par courrier. Elle semblait convaincue que, si son fils revenait un jour, ce serait grâce à moi.


Elle devinait que Rahul était amoureux de moi mais cela me paraissait complètement ridicule car, non seulement il ne l’avait jamais laissé entendre, mais il était aussi parti très loin.


Lavina me dit d’avoir confiance, qu’une mère sent ces choses-là et qu’elle ne pensait pas se tromper.


Je fus sûrement un peu plus sèche que je ne l’aurais voulu mais je parvins à lui dire que je n’attendrais pas éternellement son fils et que, si l’occasion se présentait, je ne serais peut-être plus libre à son retour.


Après avoir fait le tour du marché, Maman et moi décidâmes d’aller nous promener un peu dans le coin.


J’appréciai de pouvoir être seule avec elle, sans Papa à ses côtés car j’avais besoin de lui parler de Mathurin. Les hommes de ma vie me causaient vraiment trop de soucis.


Je lui demandai donc directement si elle était au courant de l’homosexualité de Mathurin.

Elle me répondit par la négative mais me confirma que mon père lui avait fait part de ses doutes sur le sujet il y a quelques temps.


Maman m’écouta attentivement lui raconter que mon frère était attiré par les garçons depuis tout jeune et qu’il n’avait jamais osé en parler sinon à moi.


Elle m’écouta lui raconter comment il avait surpris leur conversation, un soir, et comment, depuis, il avait échafaudé ce plan de mariage avec Claire pour rentrer « dans la norme » et plaire à son père.


Maman était choquée. Nous nous mîmes donc d’accord pour qu’elle en discute avec mon père tandis que je me chargerai de convaincre Mathurin de revenir à la raison.


Je me rendis chez Mathurin deux jours plus tard.


A ma grande déception, Claire aussi était là et elle était arrivée au moment précis où je suggérais à mon frère d’abandonner cette idée de mariage.


Evidemment, cela ne lui plut pas du tout :

- Tu es encore en train d’essayer de détruire notre couple ! me dit-elle d’un ton sec.

- Et si nous allions nous asseoir pour en discuter calmement ?


J’usai de mes arguments les plus éloquents pour tenter de faire entendre raison à mon frère et sa fiancée, ces deux-là s’entendaient comme larrons en foire depuis l’enfance et il paraissait évident qu’ils ne lâcheraient pas l’affaire aussi facilement.

- Mais vous n’êtes pas un couple ! lâchai-je brutalement.

- Peut-être pas dans le sens où tu l’entends mais nous en sommes un tout de même, m’envoya Claire d’un sourire forcé.


- Mais vous n’êtes pas amoureux ! Tu sais très bien que mon frère est gay. Tu as connu ses copains.


- Mathurin, vous serez malheureux tous les deux...

- Non, c’est faux, me répondit Claire. Mathurin a promis de ne se consacrer qu’à moi une fois marié. Et je le rendrai heureux.


- Il ne pourra pas tenir cette promesse et tu le sais très bien.


- Si, je la tiendrai, Thérèse.

- Tu vois, et avec le temps, Mathurin apprendra à m’aimer. Nous serons heureux.


- Bon ok ! La vie est belle, les petits oiseaux chantent ! C’est formidable mais tu n’es pas un garçon, que je sache !


- Thérèse... L’amour n’a pas de se.xe, me dit calmement mon frère.

Là-dessus, il marquait un point et je ne pouvais pas le contredire.


- Très bien, je vais vous laisser. Je vous promets de ne plus vous embêter avec ça. J’ai encore du travail à la ferme.


Lorsque je rejoignis la ferme, Jeanne et Naya étaient là toutes les deux pour m’accueillir.


J’avais croisé Maman sous le porche et elle m’avait dit n’avoir pas eu avec Papa plus de succès que je n’en avais eu avec Mathurin. Papa approuvait même la décision de mon frère de vouloir s’accommoder d’une vie traditionnelle et conforme à la société. Il semblait avoir oublié que la société avait évoluée.

Je pris mon sécateur, ma griffe et ma cisaille puis je filais au jardin pour me changer les idées, talonnée par mes deux meilleures amies du moment.


Deux semaines plus tard, Mathurin se joignit à nous pour fêter l’anniversaire de Papa, accompagnée de sa fiancée.

- Vous n’avez toujours pas changé d’avis ? lui demandai-je.

- Tu avais dit que tu n’en parlerais plus.

C’est vrai...


Je décidai donc, ce jour-là, de laisser tomber cette quête insensée de ramener Mathurin à la raison. Après tout, Maman avait aussi abandonné avec Papa de son côté, et je finis par penser que c’était peut-être une décision raisonnable si nous voulions conserver des liens pérennes et amicaux au sein de notre famille.


C’est donc dans cette humeur bonne enfant que mon père souffla ses bougies.


Les sujets de conversations, heureusement ne tournèrent pas tous autour du mariage de Mathurin. Celui-ci nous appris qu’il avait réussi haut-la-main sa présentation et son examen final sur les principes de programmation. Nous étions tous fiers de lui.


Il avait encore beaucoup d’autres matières à passer pour obtenir son diplôme mais Claire nous confirma que Mathurin travaillait très dur dans ce but.

Contre toute attente, la soirée d’anniversaire de mon père fut une belle réussite et nous passâmes un agréable moment tous ensemble.


Quelques jours plus tard, Jérôme et Elsa Moreau invitèrent mes parents au restaurant pour fêter le mariage futur de leurs enfants et l’union de nos deux familles.


Ils discutèrent préparatifs et lieu de la cérémonie, et convinrent d’organiser la fête dans un endroit neutre. Elsa était au comble du bonheur de marier sa fille au fils de sa meilleure amie.


Mes parents étaient partis dès le matin pour une promenade matinale avant d’aller déjeuner dans leur restaurant favori et m’avaient donné pour mission de m’occuper de ma petite sœur.


Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et c’était chaque fois pour mon plus grand plaisir.


Après le bain de Jeanne, nous partîmes main dans la main nous occuper des animaux de la ferme.


Jeanne avait voulu ce jour-là s’essayer à la traite de Marguerite mais cela n’avait pas été très concluant et il avait fallu que je console ma pauvre vache. Ce n’était vraiment pas le moment de me la rendre malheureuse car je comptais bien la présenter au concours de vaches de Finchwick qui aurait lieu très bientôt, et je la voulais en pleine forme.


Papa et Maman rentrèrent ravis de leur déjeuner en milieu d’après-midi. Maman m’annonça que nous célèbrerions le mariage de mon frère au Club Calico, à Brindleton Bay, le dimanche suivant.


Nos deux familles se réunirent donc le dimanche, près du port, où une arche avait été dressée pour l’occasion.


Force était de constater que, malgré tout ce qui entourait cet instant, les jeunes mariés avaient l’air heureux, et je trouvais ma belle-sœur magnifique et rayonnante. Mon frère avait énormément de chance d’épouser cette femme prête à tout pour lui.


J’espérais juste qu’il ne la ferait pas souffrir.


La fête près de la piscine du Club Calico fut un véritable succès. Nos parents avaient fait les choses bien.


Je surpris à un moment leurs regards et je vis qu’ils étaient heureux de voir Mathurin heureux.


Je me pris moi-même au jeu des confettis. Après tout, si mon frère était heureux, je devais l’être moi aussi.


Mais quelque part, je me demandai si Maman n’en voulait pas à Papa d’avoir poussé leur fils vers ce mariage.

Ce jour-là, Mathurin récupéra Cahouète pour l’emmener vivre chez lui. Après tout, c’était son chat.


Maman avait surpris, cet après-midi-là, Jeanne devant les plantes-vaches, juste avant que nous ne partions pour une sortie en famille à Henford. J’avais déjà demandé à ma petite sœur de ne pas s’en approcher mais elle semblait attirée par elles comme un aimant.


Maman la mit en garde un nouvelle fois puis nous partîmes pour le village voisin. Je promis à Maman d’essayer de lui expliquer à nouveau la dangerosité de ces plantes cannibales.


C’est alors qu’il me sembla l’apercevoir, sortant de la taverne. Nos regard se croisèrent.


Il accourut jusqu’à moi.


Nous nous regardâmes un instant sans savoir comment réagir...


... puis Rahul me prit dans ses bras pour la première fois. Je crois que je ne suis pas prêt d’oublier ce moment.


Lorsqu’il me relâcha, je ne trouvai bêtement qu’une chose à lui dire :

- Tes cheveux ont poussé !

- Oui, tu aimes ? me répondit-il en souriant.


- Tu m’as manquée, tu sais. Partir aux quatre coins du monde, ce n’est pas drôle sans toi.


Evidemment, je ne sus quoi répondre. Je m’en voulais d’être parfois aussi timide.

- Thérèse ? ça va ?

- Oui, oui... Je suis heureuse de te voir moi aussi.


- Tant mieux, parce que j’ai cueilli cette rose tout à l’heure... la plus belle rose du jardin de Maman et j’espère que tu l’accepteras.


Je regardai un instant cette magnifique rose rouge que Rahul me tendait avant de me décider à la prendre. J’étais comme sonnée par toutes ces attentions auxquelles je ne m’attendais pas de sa part. C’était la première fois qu’il y avait autant de romantisme dans l’air entre nous deux.


- Alors, tu restes à Henford ?

- Pas tout à fait. Je repars tout à l’heure.


Mon sang ne fit qu’un tour :

- Alors à quoi rime tout cela ? Il ne fallait pas m’offrir cette rose.


- Un mois. Je reviens dans un mois. J’ai quelques affaires à récupérer et je serai de retour avant la foire aux vaches. Définitivement.

- Tu es sûr ?

- Je te le promets.


Mon père revint à ce moment-là de sa petite promenade avec Naya.

- Alors les jeunes, tout va bien ? Rahul, tu es de retour ?

- Bientôt, Monsieur Bellecour, bientôt.


Puis Rahul était parti.


- Je l’ai bien vu t’offrir une rose, n’est-ce pas ?

- Oui...


- Il est amoureux de toi ?

- Ça, je n’en sais rien... mais je crois, oui...

J’étais encore sur mon petit nuage.


- Un homme qui offre une rose à une femme est, soit amoureux, soit il veut quelque chose de bien précis.

- Papa ! Tu crois que j’ai envie d’entendre ça, franchement !


- Très bien, je n’ai rien dit. Il doit probablement être amoureux.


- Qui est amoureux ? demanda Maman.

- Rahul. Il a offert une rose à notre fille.


- Alors, Lavina avait raison lorsqu’elle nous en a parlé au jardin communautaire. Elle vient de me dire que Rahul allait revenir définitivement à la fin du printemps. J’imagine que tu dois être heureuse.


Oh oui, j’étais heureuse ! En arrivant à la ferme, j’arrosai toutes mes légumes en sifflotant. Le bonheur avait envahi tout mon être.


J’avais même laissé Jeanne s’occuper seule de Marguerite, mais je savais que Maman n’était pas loin.


Et j’étais encore dans ma bulle de coton pour notre petite soirée familiale.

Ecouter Papa raconter à Jeanne les histoires qu’il nous avait contées à Mathurin et moi, au même âge...


Caresser Naya...


Regarder Jeanne, toute contente de s’asseoir la première sur le pouf que Maman venait de tricoter...


Et regarder Maman discuter avec ma petite sœur pleine d’entrain pour apprendre de nouvelles choses.

Toutes ces choses simples que j’aimais tant me paraissait encore plus belles ce soir.


Lorsque Maman quitta notre chambre après avoir embrassé Jeanne, je me mis à rêver d’un avenir possible avec Rahul.


Sa mère avait dit qu’il m’aimait et je voulais y croire. J’avais vraiment envie d’y croire et je me sentais bien.


A la fin du mois, je rendis visite à Mathurin et Claire qui m’avait invitée pour une « banane-party ». J’avais besoin de parler à mon frère et je lui confiai mon inquiétude de ne pas avoir de nouvelles de Rahul malgré sa promesse.


- La fin du mois est relative et la foire aux vaches n’a lieu que demain, me dit mon frère.

- C’est vrai, tu ne devrais pas t’inquiéter comme ça, essaya aussi de me rassurer Claire.

- Merci, vous êtes adorables tous les deux.


- Qu’est-ce qui pourrait te faire dire que Rahul ne tiendrait pas sa promesse ? me questionna ma belle-sœur.

- Rien, je suppose. Mais il peut s’en passer des choses en un mois.


- Elle n’a pas assez confiance en elle, voilà le problème, dit Mathurin à son épouse.


- Ah, tu crois ça ? lui répondit-elle.

Il y avait dans leurs regards une sorte de complicité à laquelle je ne m’étais pas attendue et qui me surprit.


Puis Claire se tourna vers moi :

- Mathurin a raison. Tu es une belle fille, pleine d’esprit et courageuse. Tu ne devrais pas douter ainsi de toi. N’importe quel homme serait fou de joie de t’avoir à ses côtés.

- Bon ça va. N’exagère pas non plus, Claire ! lui lança Mathurin. Ma sœur ne mérite pas n’importe quel homme. Elle mérite celui qui l’aime.


- Vous voulez que je vous dise ? continua Claire, très enthousiaste. Moi, il me tarde de voir Rahul entrer dans ta vie. On pourrait se faire de belles sorties à quatre, non ?

Je les quittai peu de temps après notre repas et je dois reconnaître que cette visite m’avait fait énormément de bien et m’avait remonté le moral.


Pourtant, le lendemain, nous étions samedi, dernier jour du printemps et jour de la foire aux vaches... Un mois s’était écoulé et je n’avais toujours pas de nouvelles de Rahul.


Mon bonheur avait fait place à la tristesse et je redoutais, au plus profond de moi, qu’il ne tint pas sa promesse.


Cependant, il me fallait passer outre car j’avais promis à Maman de donner à Jeanne une leçon détaillée sur nos amies plantes-vaches. Je lui expliquai alors dans le détail les dangers du gâteau.


Puis tout le monde se retrouva au jardin pour s’occuper des plantes et des insectes.


Maman étant souffrante, c’est moi qui me suis occupée ce jour-là de la pétillerie. Il fallait que tout soit en ordre à la ferme avant de partir pour la foire de Finchwick.


Le sort se ligua contre nous ce jour-là, car, après la fièvre qui clouait Maman au lit, Papa reçut un appel de Claire qui lui annonçait le décès de son père. Trop malheureux, mon père m’annonça qu’il ne m’accompagnerait pas à la foire mais resterait auprès de Maman.


J’emmenai tout de même Jeanne avec moi. Depuis le temps que nous parlions toutes les deux de la foire aux vaches, il ne fallait pas qu’elle rate ça. Et puis, Papa et Maman avaient bien d’autres soucis en tête pour s’occuper d’elle.

- Dis, tu côa qu’elle va gagner, Marguite ?

- Je ne sais pas ma chérie. Mais, pour nous, elle est la plus belle, c’est le principal.


Lavina était venue voir Marguerite, officieusement, sans son calepin.

- Je crois sincèrement que ta vache pourrait gagner. Elle a tout ce qu’il faut pour. Malheureusement, je ne suis pas le seul juré de la foire et d’autres sont faciles à soudoyer... C’est un malheureux constat et je n’ai jamais réussi à endiguer ce fléau. Crois-en mon expérience.


J’étais triste d’entendre ça mais je savais qu’elle avait malheureusement raison. La loi du plus fortuné fonctionnait souvent aux dépends du plus honnête. J’en avais déjà fait les frais.

Je proposais quand même le lait noir obsidienne que j’avais eu tant de mal à obtenir, pour le concours de lait.


Lavina vint cette fois avec son calepin, et ne fit aucun commentaire. Mais je savais que mon lait était un lait rare et qu’il avait tout sa place sur le podium, le lait de Marguerite.


Je retournai alors auprès de ma vache pour l’abreuver de ma confiance et de mes compliments lorsque je constatai qu’une autre vache avait été présentée au concours, dans l’intervalle mis, bien qu’elle ne me sembla pas une menace pour Marguerite, rien n’était encore joué.


- Théèze ! T’as vu l’ote vache. Elle est toute pas belle !

- Je suis d’accord avec toi. Mais ça ne veut pas dire que Marguerite va gagner. Alors, ne sois pas trop déçue, Jeanne...


- Ben môa, ze vais caresser Maguite pour qu’elle soit plus belle !

- Fais donc ! Tu as raison. Il ne faut pas se laisser abattre.


Lavina était venue me prévenir de l’influence de Rahmi Watson, la propriétaire de la vache marron, dans le village lorsque je vis s’avancer vers moi... Rahul. Je ne l’écoutais plus, je ne l’entendais plus, je ne voyais que son fils...


Il s’était approché très près de moi...

- Rahul... réussis-je à balbutier. Alors, tu es venu ?


- Je te l’avais promis, tu as oublié ?

- J’ai cru que tu ne tiendrais pas cette promesse...


A nos côtés, Lavina était revenue avec son petit carnet, s’apprêtant à juger Marguerite. Comme si c’était le moment !


Elle le lâcha tout de même lorsque Rahul me prit dans ses bras.

- Je ne partirai plus, je te le promets. Je reste avec toi.

J’étais tellement heureuse... et sa mère aussi !


- Je t’aime Thérèse. Je suis revenu pour toi.


Ces mots... je les avais tellement attendus...

J’aurais voulu lui répondre mais Lavina était là, curieuse de la suite.

- Maman, tu pourrais nous laisser, s’il te plait, lui suggéra Rahul.


A peine Lavina eut-elle quitté notre champs de vision que Kim vint se joindre à nous pour me féliciter à propos de Marguerite.


En temps normal, j’en aurais été flattée mais je n’aspirais qu’à une chose, être seule avec Rahul, et le résultat du concours était devenu le cadet de mes soucis.


Je remerciai notre épicière, l’ancienne patronne de Rahul, pour sa bienveillance puis elle s’en alla avec un mot chaleureux :

- Ta vache est la meilleure, Thérèse. Ne laisse personne te dire le contraire, même si elle ne gagne pas le concours.


- Nous sommes enfin seuls, je crois, dis-je en me tournant vers Rahul.

- Oui, mais pas pour bien longtemps. D’autres admirateurs vont venir voir Marguerite.


Et Rahul continua sur sa lancée :

- J’aimerais beaucoup que tu me rejoignes, après la foire, au festival de l’amour de San Myshuno. Je t’y attendrai. Tu veux bien ?

- Mais c’est au moins à deux heures de route !


Rahul n’eut pas le loisir de me répondre car sa mère venait à nouveau de faire irruption dans notre conversation.


Elle s’arma à nouveau de son calepin pour faire mine de noter Marguerite mais nous savions tous les deux que sa notation était déjà faite.


Lorsqu’elle s’en alla enfin, Rahul déposa un bai.ser sur le front de Jeanne puis la reposa sur le sol. J’appréciai beaucoup sa bienveillance envers ma petite sœur.


Il me prit les mains et les embrassa.


- Je t’en prie, Thérèse... Rejoins-moi là-bas.


Alors, je promis. Je savais que je ne serais pas fraîche le lendemain pour m’occuper de la ferme mais je désirais plus que tout me retrouver seule avec lui.

- Il faudra que je dépose Jeanne à mes parents, d’abord.


- Tout ce que tu voudras tant que tu es là.


Puis Rahul s’en alla.


J’avais l’impression d’être sur une autre planète...


La foire se terminait et c’est Kim qui m’annonça les résultats. Comme prévu, ce n’était pas glorieux mais j’avais au moins, encore cette fois, un ruban de troisième place.


Mais ce n’était pas grave... Dans deux heures, j’allai retrouver l’homme que j’aimais le plus au monde et je nageais dans le bonheur.


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