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  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 5

Audric - Colère incendiaire

Les mercenaires de l'impossible


Point de vue d’Audric

Après le choc que nous avions subi à la suite du décès d’Opaline, nous avions œuvré pour débarrasser la cuisine que Yoram avait débloquée, ainsi que la pièce du premier étage dont Guidry nous avait gentiment autorisé l’accès.

Les travaux de déblayement et de rebouchage des fissures nous empêchaient de penser au drame.

Nous avions tous énormément de peine et, j’avais remarqué que, même si Odely et Ancelin avaient des émotions presque réduites à néant, leurs visages fermés révélaient malgré tout une vague de tristesse pour celle que nous aimions tous.


Lorsque la cuisine fut complètement nettoyée, je m’affairai pour préparer une bonne soupe de champignons à mes amis sur notre gazinière nouvellement acquise.


Mon niveau en cuisine était tout à fait moyen mais tout de même honorable, et je connaissais par cœur cette recette que me mitonnait ma mère pour réparer parfois mon petit cœur d’enfant.

Maman m’avait toujours dit qu’une bonne soupe bien chaude était le remède miracle à tous les maux, et j’espérais qu’aujourd’hui, elle le serait.


La pièce à l’étage était un bureau dans lequel mes camarades avaient monté les trois lit que nous avions achetés la veille.

Trois lits pour sept, ce n’était pas encore le grand luxe, mais nous aurions au moins une pièce digne de ce nom pour nous reposer en attendant mieux.

Nous avions ensuite déposé l’urne d’Opaline sur la cheminée que Juju nous avais proposée au rabais, pour le réfectoire, puis nous avions tenté de faire notre deuil de cette amie que tout le monde aimait et dont personne n’avait jamais dit de mal.


Guidry nous rejoint lui aussi, empreint d’un voile de tristesse dont je ne l’aurais pas soupçonné au premier abord. Opaline avait su toucher son cœur... Je ne sais pas comment, mais elle l’avait fait.


Odely vint, elle aussi, se joindre à nous. Il était très rare de la voir pleurer, ce qu’elle ne fit pas, il faut bien le reconnaître, mais sa tristesse était manifeste.

Je trouvais navrant qu’Ancelin n’ait pas affiché un tel attachement à Opaline sachant qu’elle l’avait, lors d’une de nos missions, arraché aux griffes d’un monstre du feu, au péril de ses écailles et de sa vie


J’en parlai à Odely quand elle apparut dans la cuisine, sans prévenir bien sûr, parce que ses ailes de chauve-souris lui permettaient ce genre de fredaines exubérantes.


Ma soupe était prête, la soupe de Maman...

Odely se voyait obligée de me conter ses explications. Je l’avais bien cherché, après tout :

- Ancelin n’est pas inamical. Il n’est pas un mauvais garçon, non plus. Il a souffert plus que tu ne peux l’envisager, alors pardonne-lui son comportement, s’il te plait... et ne crois pas qu’il ne soit pas attristé par la mort d’Opaline.


Odely avait toujours été notre chef. Elle était juste et honnête envers nous tous, et elle ne mentait jamais, même si parfois elle nous cachait quelques vérités. Du mensonge par omission, me diriez-vous ? Non.

Odely ne se fourvoyait pas avec ce genre de bassesse. Elle disait simplement ce qu’elle avait à dire, et si elle ne souhaitait pas parler de certaines choses, elle n’en parlait pas.

Alors, si elle pensait qu’Ancelin ne méritait pas de vindicte de ma part, c’est qu’il n’en méritait pas.


Je déposai ma fameuse soupe aux champignons sur la table puis invitai mes amis à venir partager mon repas. Tous arrivèrent rapidement, grâce à la petite sonnette munie d’un haut-parleur, qui semblait retentir un peu partout dans l’hôpital.

Beaucoup d’entre nous avaient du mal à dissimuler leur peine mais ce premier repas chaud depuis fort longtemps, leur fit énormément de bien.


C’en était fini des salades de légumes ou de fruits dont nous nous nourrissions, faute de mieux.

J’en profitai alors, en ce jour de « fête » proposé par les spectres des murs, pour raconter une histoire au sujet d’Opaline.


Son urne trônait sur la cheminée entre une bougie et quelques fleurs. Elle était parmi nous, je le sentais, et je tenais à faire partager mon histoire avec elle.

Nous avions tous une histoire à partager au sujet d’Opaline.


A la fin du repas, nous fûmes tous dans l’ambiance, et chacun de nous y alla de sa petite histoire avec notre défunte amie. Je savais que nous aurions tous un mot gentil à son égard. C’était une sirène au grand cœur, et elle nous avait tous profondément touchés.


Après notre repas, je partis faire une petite promenade digestive dans la bourgade.

J’en profitai pour remplir les seaux d’eau que j’avais emmenés avec moi, et pour pêcher un instant tout en évacuant ma tristesse.

Je ne sais pas trop pourquoi j’avais voulu faire une chose pareille car je détestais les matières visqueuses ou dégoulinantes, et les poissons en faisaient partie. J’attrapai tout de même un beau bar qui ferait sans doute un bon repas pour tout le monde.


Se vider l’esprit peut quand même parfois être bénéfique, et l’idée m’effleura soudainement qu’il serait peut-être possible de rentrer en contact avec Opaline en invoquant les défunts. Je me mis à courir jusqu’à l’hôpital pour utiliser la table de Parcémente, laissant sur place ma canne à pêche et mes seaux remplis d’eau.


Malheureusement, mon expérience ne donna rien de concret. Odely avait certainement raison lorsqu’elle disait qu’il valait mieux utiliser la table le soir. Je pris donc la décision d’aller me reposer un peu.


Lorsque j’arrivai à l’étage, dans notre nouvelle chambre, j’aperçu un cahier ouvert, sur le bureau. Ma curiosité l’emporta sur la fatigue et je m’installai tranquillement pour découvrir que ce journal appartenait à un ancien résident de l’hôpital psychiatrique. Il y racontait les atrocités qui avaient été commise sur les patients de l’endroit et, notamment, sur sa propre personne. Certaines de ces phrases étaient incohérentes mais on y ressentait toute la peur de ce jeune homme. Le pauvre avait dû sombrer dans la folie après tout ce qu’il avait vécu.


Après cette lecture fort intéressante, mais incomplète, car l’intéressé avait noirci des pages entières de son cahier que je n’avais pas physiquement le temps de lire à cause de la fatigue et de mon moral au plus bas, j’allai m’allonger un peu pour récupérer. Il faut souligner qu’avec le décès d’Opaline, nous manquions tous de sommeil. Et si je pouvais m’assoupir dans l’un des trois lits de cette pièce avant les autres, mon sommeil n’en serait que meilleur.

Je me levai, revigoré, après une sieste d’une bonne heure, prêt à attaquer le jardin.

Heureusement, nous avions à notre disposition du matériel de compétition pour attaquer le désherbage. Certes, certains n’étaient pas aguerris au maniement de ces appareils et préféraient désherber à la main, mais cet outillage me convenait parfaitement.


J’étais, par contre, extrêmement dérangé par l’odeur que me renvoyait le poulailler et je ne comprenais pas où, la plupart de mes amis, trouvaient du plaisir à le nettoyer, à ramasser les œufs ou encore à nourrir et à jacasser avec des poules qui avaient le cerveau... d’une poule ! Que pouvaient-elles comprendre à leurs blabla ? Cet endroit était d’une puanteur insoutenable pour mes fragiles narines mais, étant donné que c’était à mon tour de m’en occuper, il fallut que je prenne mon mal en patience et que je gère cette corvée comme chacun l’avait fait avant moi. Mais croyez-moi, mon désarroi était grand, aussi grand que je détestais les mauvaises odeurs et les objets visqueux.


Je passai, entre le jardin et cette besogne insupportable, une très grande partie de mon après-midi. Plus ça allait, et plus je me disais que cette mission n’était pas pour moi...

Je me servis un repas frugal vers vingt heures puis acceptai une partie de « jeu du lama » contre Fantine.

Vers vingt-et-une heure, Guidry apparut. J’avais été présent lors de sa conversation avec Yoram et Odely la veille au soir mais je n’avais pas eu l’occasion de lui parler.

Je me présentai donc à lui et il sembla ravi de faire ma connaissance, mais il me dit devoir s’absenter pour aller retrouver une amie, et me laissa en plan.


En fait d’amie, je vis qu’il croisait Yoram dans le couloir ; Yoram lui proposa même son bol de salade ! Je n’en revenais pas. Ce glouton n’était pas du genre à partager sa nourriture, d’ordinaire... Guidry déclina gentiment l’offrande en argumentant que les fantômes n’avaient pas besoin de se sustenter.

Il fallait que je prenne l’air. Je n'arrivais pas à l'expliquer mais de mauvaises ondes semblaient m'envahir à mesure que la journée passait.


Sur le perron, je me retrouvai nez à nez avec un spectre rouge qui ne m’avait pas l’air du tout aimable. Je n’étais pas très rassuré mais il me fallait rompre la glace qui semblait nous lier l’un à l’autre. Je me fis un devoir de lui parler gentiment dans l’espoir de le corrompre. Je lui tendis une de mes assiettes de soupe de champignons...


Dans un premier temps, mon stratagème parut fonctionner et de petites particules vertes, beaucoup plus amicales que cette aura rouge flamboyante, s’échappèrent de mon spectre. J’étais assez fier de moi, mais je n’aurais pas dû baisser ma garde. La soupe de Maman n’avait pas dû plaire à mon interlocuteur.


Le spectre disparut, me laissant seul sur le seuil de l’hôpital, et je fis demi-tour pour rejoindre la réception. Ce que je n’avais pas vu mais qu’Ancelin découvrit plus tard, c’est que ce malin avait laissé derrière lui une trace de son passage et de son mécontentement : une plante identifiée comme maléfique par notre ami et fantôme préféré, Guidry.


En arrivant dans le hall, je n’avais pas encore allumé les bougies, que je le vis... Il était encore là et n’était pas parti bien loin. Sa colère ne semblait pas s’être dissipée non plus. Il dispersa une telle puissance sur le plancher que je sentis le sol trembler sous mes pieds.


Je savais maintenant d’où venaient ces prétendus tremblements de terre. Ces spectres rouges paraissaient déterminés à attiser notre peur, mais je n’étais pas résolu à me laisser impressionner.

Je grattai une allumette pour éclairer la pièce et en illuminer chaque bougie, et je fis face à la chose, l’invectivant de me dire pourquoi elle s’acharnait de la sorte. Un jeteur de sorts de mon niveau n’avait rien à envier à une créature de l’autre monde et je comptais bien le lui faire savoir.


Mais il disparut aussi subitement que tout à l’heure, laissant à mes pieds une étrange statuette, et dans mon cœur, un sentiment de nostalgie et une profonde tristesse qui me ramenaient à feue ma tendre maman.

Le spectre avait su où frapper... Je ramassai la statuette afin qu’elle ne gêne plus le passage, et la glissai discrètement dans la poche de mon manteau. Personne ne l’avait vue, et j’avais perçu que son aura destructrice, bien que bienveillante envers nous, pourrait être néfaste à notre but de détruire les fantômes et entités malveillantes rôdant dans l’hôpital. Il fallait la cacher...


Après avoir enfoui la sculpture d’argile au plus profond de ma poche, je me sentis envahi par une colère incontrôlable. Mon malaise avait augmenté d’un cran depuis le début de la journée.

C’est à ce moment-là que je fis la rencontre de Susumu, le fantôme que Fantine avait déjà rencontré deux jours auparavant. Il se présenta à moi en toute amitié mais la colère me submergeait, ingouvernable, m’asservissant et me gardant sous son contrôle.


J’ignore ce qui a pu se passer mais je déversai sur ce pauvre être de l’au-delà, toute l’exaspération et l’animosité que je ressentais pour ce lieu maléfique, violentes et agressives. Je vis le fantôme changer de couleur à mesure que mes propos s’emballaient ; il finit par me déclarer son ennemi juré et il quitta la pièce, furieux, en me conseillant de ne plus croiser sa route. J’entendis, au même moment, une porte grincée à l’étage... la deuxième en moins d’une heure.


La peur me gagnait, irrépressible... Je ne maîtrisais plus mes émotions... et je n’avais voulu aucun mal à ce malheureux Susumu...

Lorsque je me retournai, j’eus la surprise de me retrouver face à l’appartion spectrale d’Opaline qui me toisait avec un air de reproche :

- Mais qu’est-ce que tu as fait ?

Guidry ne me laissa pas le temps de lui répondre :

- Il a fait ce qu’il faut, ne t’en fais pas.


- Cela faisait partie des choses dont je ne pouvais pas vous parler avant, mais la colère d’Audric a conduit à la libération de deux autres pièces ; il a réussi en très peu de temps à rendre furieux un spectre et un fantôme. C’était la clé pour que Tempérance ouvre ces portes. On peut donc féliciter Audric, tu ne crois pas ? Et pour Susumu, ne t’inquiète pas. Je lui expliquerai tout et il comprendra.

Guidry parlait de ma réussite comme s’il s’agissait d’un exploit mais je sentais toujours cette colère sourdre en moi sans que je ne puisse la maîtriser.

Je craignais de faire d’autres bêtises, mais Guidry, persuadé qu’il fallait se servir de mon état d’esprit comme une arme contre Tempérance, nous proposa à Opaline, Ancelin et moi, de l’invoquer sur la table.


Fantine sortit à ce moment-là de la salle de bain, avec Susumo. Elle avait apparemment réussi à calmer le fantôme...


Guidry mena la séance de spiritisme dans l’espoir que Tempérance se montre et qu’on puisse la vaincre. Il fondait de grands espoirs sur ma colère et semblait croire que je serais suffisamment puissant pour anéantir son ennemie.

Le sol se mit à trembler sous nos pieds et une voix diabolique emplit soudain la pièce :

- Claude ! Je serai bientôt là mais ne t’avise plus jamais de m’appeler où bouillir un à un tes amis en Enfer... Ancelin ! Tu es là aussi ?! Mes amitiés à Odely Mouhahahahaha !

Le sol se stabilisa à nouveau et la voix partit en éclat de rire, decrescendo, à vous faire froid dans le dos.


- C’était Tempérance, c’est ça ?

- C’était elle. Je voulais vérifier si elle pouvait passer la brèche mais il semblerait que, pour le moment, elle n’y parvienne pas. Mais ça arrivera. Je pense qu’il va vous falloir un plan sérieux pour en venir à bout... Tu as bien fait de cacher cette idole. Tempérance en a peur et, si vous la laissez sur place, elle ne viendra pas et vous ne pourrez jamais en finir avec elle.

Guidry avait raison. Il nous fallait un plan qui tienne la route, et j’avais ma petite idée. Je devais maintenant réfléchir à la façon de mettre cette idée en pratique et, ma meilleure alliée pour la faire aboutir serait sans nul doute, Doreen.


En attendant, j’avais un plan beaucoup plus urgent à mettre en œuvre. Il trottait dans ma tête comme un leitmotiv. Je devais me débarrasser de toutes les immondices qui s’accumulaient, au mépris de tous, devant notre porte.

Etant expert en potions, je ne maîtrisais pas les sorts aussi bien que Doreen, mais ma connaissance de la magie était suffisante que je puisse brûler tous ces déchets puants.

J’étais assez fier de moi. Le sort avait fonctionné, bien plus rapide que si j’avais jeté une allumette qui aurait risqué de s’éteindre, et le feu commençait à se propager pour faire son office.


Amaël et Yoram sortirent les premiers pour me hurler d’empêcher la propagation de l’incendie et de tout arrêter, bientôt suivis de Doreen et Guidry.


Le petit spectre qui m’avait rendu en colère tout à l’heure, quitta lui aussi l’hôpital, pour s’en éloigner, plus furieux que jamais.


En très peu de temps, tout le monde fut dehors pour assister à mon incroyable folie et les portes de l’hôpital se fermèrent à nous dans un claquement de plusieurs verrous successifs.

- Il ne fallait pas faire ça ! hurla Guidry.


Odely s’était saisie d’un extincteur et essaya, en vain, d’éteindre les flammes.


Un essaim de guêpes se rua vers moi, prêt à m’attaquer mais leur courroux ne m’impressionnait pas et, d’un regard appuyé et galvanisé par la magie, je leur intimai l’ordre de rester à distance.


Elles ne pouvaient rien contre moi.


Mes amis contemplaient, impuissants, le spectacle de mes divagations, craignant que l’hôpital ne s’embrase à son tour. Quelques badauds étaient venus assister à la scène.

- Il a déchaîné les foudres de l’Enfer, dit Guidry à Odely. La brèche va s’agrandir.

- Et on ne peut même plus rentrer dans l’hôpital...

- L’hôpital se protège. Dès que l’incendie sera éteint, les portes se rouvriront.


Je n’en avais cure... Que les portes se rouvrent ou non, je ne voulais plus voir toutes ces horreurs, et j’espérais que mon feu les dévaste toutes sur son passage.

Mon esprit s'embrumait... je n'arrivais pas à lutter contre sa volonté... J'avais l'impression d'être une marionnette entre les mains d'un vulgaire illusionniste. Quel comble... L'hôpital allait sûrement brûler et la faute m'en incomberait...



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