top of page
  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 6

Ancelin - Fantômes et vampires

Les Mercenaires de l'impossible


Point de vue d’Ancelin

Il était près de 15 heures... Le feu avait brûlé toute la nuit et commençait seulement à s’étouffer.

Nous étions tous animés par un ressentiment puissant envers Audric. Guidry lui-même était aussi exaspéré qu’Odely et moi.

S’il y avait bien une chose que les vampires craignent, c’est le feu.


Nos amis humains dégageaient une odeur nauséabonde et tombaient de fatigue.

Audric fut le premier à se laisser choir, inconscient et misérablement, sur les pavés, au pied de l’escalier de l’hôpital.


Mais qu’était-il donc passé par la tête de cet humain-jeteur de sort, pour avoir imaginé une absurdité pareille ? Sa sottise me laissait complètement médusé.

Nous le vîmes se redresser après une dizaine de minutes, et faire quelques pas avant de s’arrêter près de la fontaine. Il affichait un air abattu.


Je me précipitai, à vitesse vampirique, vers le dernier foyer encore allumé pour y déverser toute la puissance de l’extincteur que j’avais saisi.

J’entendis Audric accourir vers moi, aboyant des mots décousus, pour m’empêcher de mettre fin à l’incendie.


Il fut heureusement arrêté par Odely et Amaël qui se chargèrent de l’accompagner jusqu’à son lit pour qu’il puisse se reposer.

A 15h20, l’incendie était complètement maîtrisé.


Mes amis étaient dans un état calamiteux. Ils avaient faim, sommeil, et la pestilence qui émanait d’eux n’avait rien à envier au tas de déchets qui venait de brûler des heures durant.


Ils s’étaient réunis dans la cuisine pour satisfaire leurs estomacs endoloris puis avaient rejoint leurs couches sans plus attendre, s’endormant, pour certains, dans leur propre saleté.


Je me dois cependant de souligner que mes compères masculins ont fait preuve de courtoisie et de bienveillance, puisqu’ils ont élégamment laissé la seule baignoire, et la seule douche de l’hôpital, à Fantine et Doreen afin qu’elles puissent se laver.


Odely et moi avions alors mesuré l’urgence qu’il y avait à posséder des sanitaires supplémentaires, et nous avions offert à Guidry, avant qu’il ne reparte, six cents simflouz, afin qu’il nous donne accès à deux salles de bain de l’étage.

L’ectoplasme avait été ravi de nous aider puis s’en était retourné dans son « au-delà » en péril, après nous avoir salués.


Odely m’avait aidé à nettoyer les sanitaires, à boucher les fissures et à enlever les toiles d’araignées qui s’étaient installées un peu partout.

Nous n’étions que deux mais, deux vampires tels que nous pouvaient abattre le travail de trente humains en un temps record.

Lorsque nous eûmes fini, Odely m’accompagna jusqu’au centre-bourg, à la boutique « Trouves-y-tout » de Juju, afin d’y acquérir deux baignoires pour nos compagnons d’infortune.

Nous n’échangeâmes que des banalités. Son visage était aussi fermé qu’une stèle de tombeau... Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de la regarder... elle... si belle et si forte.


Lorsque nous rentrâmes à l’hôpital, nous installâmes les baignoires et les raccordâmes au réseau interne de l’établissement.

Nous n’avions pas oublié de remplir quelques seaux avec l’eau du lac. Il n’était pas envisageable d’en manquer maintenant. Nos amis en auraient été effondrés.

Odely s’éclipsa ensuite en me laissant seul dans une salle de bain flambant neuve.


Je me faufilai ensuite jusque dans la chambre des femmes pour y lire le journal que nous avions aperçu la veille. Elles dormaient encore...

Audric nous avait déjà résumé le contenu du journal se trouvant dans la chambre des hommes et, celui-ci semblait relater les mêmes évènements, et exprimer les mêmes désespoirs que ce qu’il nous avait conté.

Ces pauvres humains avaient été arrachés à leurs familles contre leur volonté, simplement parce qu’ils étaient victimes de maux psychiatriques passagers qui auraient pu être soignés autrement. Celui-là avait été déprimé parce qu’il venait de perdre sa femme et cela avait suffi pour justifier son internement.


Il avait aimé sa femme plus que tout autre chose au monde.

Au fil de ma lecture, je me rendis compte que ses propos devenaient de plus en plus incohérents à mesure qu’il racontait ses passages à l’infirmerie pour y avaler ses traitements et y subir des tourments indescriptibles. Il les nommait des « expériences ».

Parfois, il revenait dans sa chambre sans pouvoir parler, parfois, il n’avait plus aucune motricité, parfois, il ne se souvenait de rien.


L’hôpital l’avait rendu fou alors qu’il ne l’était pas en y entrant, et, tout comme dans l’histoire qu’Audric nous avait résumée, cet homme-là avait fini par voir des « choses ». Il parlait de « boules de couleurs ». Certaines souriaient tandis que d’autres crachaient du feu, malfaisantes.

Est-ce la folie qui lui avait permis de les voir ? C’est ce qu’il pensait. Les spectres ? Car je savais qu’il parlait d’eux.

Une chose est sûre, les médecins avaient prévu d’augment son traitement, de lui mettre une camisole et de l’isoler.

Le journal s’arrêta là, ou presque... Il eut une dernière pensée pour sn fils qu’il évoquait souvent, et il priait le ciel pour qu’il ne lui arrivât rien de mal, et qu’il réussît sa vie.

Le journal finissait par ces quelques mots : « Je t’aime, Naoki. Ton père, Susumu. »


Je me levai alors pour observer les photos qui étaient punaisées sur le mur de sa chambre. Il y avait de nombreuses photos de femme, la même, à différents moments. Je pouvais supposer qu’il s’agissait de Manon, la femme de Susumu, morte prématurément de la tuberculose.

Le portrait, un peu plus bas, représentait un homme brun avec une moustache élégante. Il s’agissait de Susumu avant son entrée à l’hôpital. Il avait la posture de tête d’un homme fier et heureux, un bel homme de son époque.


A ma gauche, déposé au sol mais appuyé contre le mur, se tenait le portrait d’un enfant, à peine adolescent. Je n’eus aucun mal à deviner que se trouvait devant moi, Naoki, son fils... un fils qu’il n’eut jamais le loisir de revoir.

Je contemplai la photo, usée et abîmée à force d’avoir été touchée par les doigts du père, d’un air détaché.

Même si je comprenais, et même si je trouvais cette histoire horrible, je m’étais forgé une carapace suffisamment dure pour ne pas m’appesantir sur le malheur d’autrui. Les faits... juste les faits...


Je descendis jusqu’à la réception pour me réfugier dans cette musique troublante que j’aimais tant.

L’orgue avait un effet salutaire sur moi. Dans quelle mesure ? Je ne saurais le dire, car depuis que la malédiction m’avait séparé de ma femme, je ne ressentais plus rien. Ni haine, ni colère, ni peine, ni tristesse.

Seule sa présence me rappelait que je n’étais pas complètement mort ou insensible, et la musique m’y aidait aussi, me berçant de doux souvenirs.


Elle s’était assise pour m’écouter jouer, comme elle l’avait fait tant de fois par le passé... à la différence près qu’elle avait pris un siège à distance respectable, et que mes doigts auraient pu saigner de la violence avec laquelle je heurtais les touches, si je n’avais pas été un vampire...


Je pouvais sentir son âme se repaître de cette mélodie qui fut la nôtre, et entendre ses pensées, inconsolables d’être, à la fois, si près et si loin de moi.


Au cours de leur existence éternelle, les vampires ne pouvaient aimer qu’une seule et unique fois. Nous pouvions tomber amoureux plusieurs fois, comme n’importe quel humain, bien sûr, mais... aimer avec un grand A, nous ne le pouvions qu’une fois.

A condition que nous trouvions notre âme sœur, celui ou celle qui serait notre Unique. Et je l’avais trouvée... celle que j’aimais par-dessus tout, qui m’aimait plus que de raison, celle avec qui je pouvais communiquer par la pensée, celle qui me comprenait d’un seul regard... Nous nous étions perdus.


Alors que nous étions heureux depuis des siècles, il avait fallu que nous acceptions, en 1989, une mission dans cet hôpital maudit.

Nous y étions venus avec Adrian Duplantier et Luc Lapierre, un de ses amis jeteur de sorts.

C’est là que nous avons croisé Tempérance pour la première fois. Notre présence sur les lieux l’avait rendue hors d’elle, et elle avait menacé Odely.


Luc avait bien tenté d’user de ses pouvoirs pour la dompter, mais sans succès. Il était trop jeune et ne maîtrisait rien face à la puissante dame en colère que nous avions tous sous-estimée.


La fureur de Tempérance nous avait tous surpris, tous sauf Odely qui s’était ruée sur elle, comptant lui donner une bonne leçon.


Ma douce y parvint, mais ce ne fut pas sans conséquences.

Tempérance s’en prit à nous, à notre couple. La menace m’avait semblée bien réelle et je me souviens l’avoir sentie venir au plus profond de moi. Mais Odely la narguait. Elle la fixait de ses grands yeux, sans peur et sans crainte.

Sur mon insistance, elle finit par cesser ses provocations...


...mais trop tard.

Tempérance lança sur nous sa malédiction infernale, la malédiction qui nous séparerait à jamais.


Nous eûmes un temps infime pour nous serrer l’un contre l’autre une dernière fois.

Luc Lapierre tenta une dernière expérience magique pour contrer le sortilège mais il échoua une nouvelle fois, et une décharge de feu nous sépara, Odely et moi, décharge qui nous aurait probablement transformés en tas de cendres, si nous ne nous étions pas éloignés l’un de l’autre... pour toujours.


Je m’étais arrêté de jouer sans même m’en rendre compte.

- N’y pense plus, Ancelin... me dit-elle de sa voix douce.

- J’essaye... mais j’y pense chaque jour que Dieu fait.

- Je le sais bien.


Nous étions si proches sans pouvoir nous toucher...

Odely s’occupa de faire changer de direction à nos pensées en me proposant de m’occuper de la survie du groupe jusque dans la nuit du lendemain.

- Etant donné qu’Audric ne t’a pas permis de prendre les choses en main avant quinze heures, il serait plus juste que tu gardes ton tour jusqu’à demain. Toi aussi, tu as le droit à une journée entière.


- Tu as raison. Sans compter que j’ai tout de même fait ma part de travaux forcés aujourd’hui, alors que c’était le seuls jour de la semaine où j’aurais dû en être exempté.

J’avais essayé de dire cela sur le ton de la plaisanterie, mais le cœur n’y était pas.


- Parfait. Je préviendrai Amaël qui prendra son tour après-demain. Et si on allait faire un peu de cuisine avant que les autres ne se réveillent ?


Nous avions donc partagé la cuisine dans la bonne humeur.

Odely avait remarqué que certains ingrédients indispensables nous manquaient, mais je l’avais tout de suite rassurée. J’avais donné à Juju une liste de courses qu’il avait promis de nous faire livrer, dès le lendemain matin.


Lorsque nous eûmes terminé, il faisait déjà nuit. Nos amis étaient tous dans la cuisine, vêtus de leurs pyjamas. Odely avait disparu, tandis que j’étais resté quelques minutes pour discuter avec eux.

Ils avaient trouvé les deux salles de bain, donc nous avions sciemment laissé les portes ouvertes, et en étaient enchantés. Je constatai même, avec soulagement, qu’ils avaient dû s’en servir.


Avant de les quitter, les informai qu’un plat de spaghetti bolognese se trouvait dans le frigo à leur attention, puis je m’éclipsais, bien décidé à aller me servir un petit verre de plasma-mary au salon.

En arrivant, je découvris qu’une nouvelle marque maléfique était apparue sur le sol mais, surtout, que Guidry était là, et qu’il courtisait grossièrement Odely.


Je m’assis à leur table en ne quittant pas des yeux le bellâtre ectoplasmique, puis lui recommandai expressément de cesser ses avances suggestives envers elle.


Guidry n’eut pas l’air ravi d’entendre mes ordres déguisés en demande :

- Et on peut savoir en quoi notre discussion vous concerne ? me lança-t-il sur un ton désagréable.

- Elle me concerne, voilà tout.


- Pas du tout. Mêlez-vous de vos affaires. Nous discutions en toute amitié, et votre intervention est malvenue.

Odely m’envoya un signal pour m’inciter à abandonner la partie.

Je savais qu’elle était assez grande pour se débrouiller seule, et je devinais aussi qu’elle avait certainement eu d’autres amants que moi depuis notre malédiction, mais je ne voulais pas voir. Deviner me suffisait amplement.


Je me levais sans un mot, étouffant ma colère, pour aller rejoindre Amaël, Fantine et Doreen autour de la table de Parcémente.

Mes amis avaient, semble-t-il, tous décidé de garder leurs pyjamas. Les humains étaient parfois très étranges.

Au milieu de la séance, nous entendîmes de légers craquements non loin de nous. Fantine ouvrit les yeux pour voir ce qui se passait, mais rien n’avait changé autour de nous.


Le bruit s’intensifia, comme si quelque chose se promenait dans les murs, puis la voix de Tempérance surgie de nulle part, s’adressa à nous :

« Paaartez.... L’hôpital est à moiiii ! » Son rire diabolique envahit la pièce puis le silence s’imposa à nous.

Amaël se risqua à parler, d’une voix peu assurée :

- Vous avez tous entendu, n’est-ce pas ?


- Ça suffit ! me mis-je à crier. Ne voyez-vous donc pas qu’elle cherche à nous faire peur ? Cessez de rentrer dans son jeu. Elle se nourrit de nos peurs et de nos colères. Tout l’hôpital s’en nourrit.


- C’est malin ! me dit Doreen sur le ton du reproche. Tu as mis fin à la séance.


- Il y en aura d’autres, ne t’en fais pas.

Mon regard glacial n’eut pas à souffrir d’autres de ses réflexions.


J’avais entraîné Fantine un peu plus loin dans le couloir pour lui demander de me donner un peu de sang. Je commençais à avoir sérieusement soif, et je ne voulais pas quitter l’hôpital à la recherche d’un repas en sachant Guidry en train de tourner autour d’Odely.

Fantine accepta tout de suite :

- Avec plaisir. Je suis en pleine forme, alors si je peux te rendre service...


C’est à ce moment-là qu’apparut Susumu, le fantôme avec qui Fantine avait lié une amitié, mais aussi l’auteur du journal que j’avais lu un peu plus tôt dans l’après-midi.

Ce fantôme avait parfaitement l’air sain d’esprit (si je puis m’exprimer ainsi), lorsqu’on sait dans quel état il a achevé sa pauvre vie.

Il nous salua tous les deux puis s’adressa à Fantine en disant qu’il ne comprenait pas pourquoi elle acceptait, de son plein gré, de se faire mordre par des vampires.


- C’est un échange de bons procédés, Susu, lui répondit Fantine.

Susu ?! Mais qu’est-ce que j’exécrais ces surnoms ou diminutifs, par trop courants dans cette époque dévergondée.

- Et je ne ne donne pas mon sang à tous les vampires. Seulement à Odely et Ancelin. Ce sont mes amis. Ils me le rendent bien, je t’assure.

- Tu dois avoir mal, pourtant ?


- Pas tant que ça. C’est même plutôt agréable, parfois. Mais tu es trop mignon de t’inquiéter pour moi.

- Tu me fais penser à la fille que j’aurais pu avoir, lui répondit Susumu. Mais je n’ai eu le temps de n’avoir qu’un fils.


Afin d’éviter les jacasseries inutiles sur le bien-fondé, ou non, de donner son sang à un vampire, j’orientai Susumu sur le journal que j’avais trouvé dans la chambre des femmes.

- Vous êtes bien l’auteur de ce journal, n’est-ce pas ?

- Vous ne vous trompez pas. Je suis bien Susumu Ikeda.

Susumu refusa de s’étendre sur ce qu’il avait écrit sur son internement. Il me convia cependant à découper la couverture de son journal pour y lire d’autres pages, plus accusatrices, celles-là :

- Nous discuterons une fois que vous les aurez lues, me dit-il.


Je me levai donc pour le remercier et lui assurer que je poursuivrais ma lecture, mais il était temps pour moi de me nourrir. Ma soif ne pouvait plus attendre.


Je m’étais alors transformé sous ses yeux.

- Mais comment fais-tu, Fantine ? s’outra-t-il. Franchement, cet aspect-là est très repoussant.

- Ce n’est pas très gentil, ce que tu dis là, Susu ! s’esclaffa Fantine.

Si j’avais conservé une once d’émotion, je crois que j’aurais pu rire aussi, à ces paroles irréfléchies. Susumu ne savait manifestement pas de quoi les vampires étaient capables.


Je lui enviais sa candeur, mais je n’avais pas le temps de m’en intéresser.

Fantine m’avait tendu son poignet et je ne voulais pas la faire attendre.

Susumu ferma les yeux puis se leva. Nous entendîmes, au même moment, une porte grincer en provenance des étages.


- Bon, je vous laisse les amis ! Tout cela est passionnant mais je n’ai pas envie d’en voir plus. Au fait, la porte que vous venez d’entendre est celle de la deuxième chambre du premier étage, dans l’aile ouest. C’est un petit cadeau pour vous, Ancelin.

Ce fantôme était, ma foi, fort sympathique.


Je remerciai Fantine pour son don plasmatique et la félicitai pour le choix de ses amis.


- Tu sais, me dit-elle, je n’ai pas voulu lire ce journal alors qu’il est dans notre chambre, à Doreen et à moi. J’y ai vu le nom de Susumu et je ne voulais pas violer son intimité, mais il n’a pas l’air contre, n’est-ce pas ? Tu crois que je devrais le lire ?


- Agis selon ton cœur. Je ne peux pas te dire plus.

- Merci Ancelin. Tu viens de me donner ma réponse.

- Si je peux être utile...

C’est à ce moment-là que nous entendîmes un bruit si violent qu’il nous sembla que l’hôpital, en son entier, allait s’écrouler sur nos têtes.


Fantine se dirigea vers le salon, tandis que je me hâtai vers la réception. La terre tremblait sous nos pieds. Je reconnus immédiatement la poupée maléfique qui se trouvait assise sur le sol, l’œuvre de Tempérance...

- Quand est-elle apparue ? demandai-je à Amaël.

- Depuis un petit moment déjà.

J’aperçus, au loin, Yoram qui paniquait.


Doreen ne semblait pas se trouver mieux, mais il faut reconnaître qu’elle s’épeurait facilement.


Au moment où Guidry allait pour s’asseoir près de moi, la voix stridente de Tempérance envahit l’hôpital :

« Il y a déjà eu un mort. D’autres suivront si vous restez. ALLEZ-VOUS-EN ! »


L’instant d’après, je sentis qu’Odely était en difficulté, en prise avec un ennemi invisible qui voulait la combattre et qu’elle ne maîtrisait pas.

Comment combattre ce que l’on ne peut voir ? Et comment aurais-je pu l’aider ? Je ne savais même pas dans quelle pièce elle se trouvait.


Le sol redevint stable, les bruits cessèrent, et je me tournai vers Guidry, inamical :

- A quoi riment toutes ces galanteries envers Odely ? Vous êtes un fantôme. Elle est faite de chair et d’os.

- Pas exactement, non... Odely est aussi morte que vous et moi. En cela, nous nous ressemblons. J’aime beaucoup sa présence.


A ces mots et, malgré des émotion anéanties, la colère s’empara de nouveau de moi. Je savais combien elle pouvait être néfaste dans un endroit comme celui-ci, et j’avais mis les autres en garde afin qu’ils n’y succombent pas, mais je fus de ceux qui s’y laissèrent prendre.

Je suis le seul à pourvoir aimer la présence d’Odely. Je m’attaquai donc à Guidry.

Lui, si paisible d’ordinaire, vira du rose au rouge en quelques millisecondes, bien déterminé à ne pas me laisser prendre le dessus, et répliquant à mes violentes accusations.


Au bout d’un échange tumultueux, il finit par se lever. Nous nous jaugions mutuellement d’un regard haineux et féroce.

J’étais dans la détestation de ce fantôme et, pourtant, il me semblait l’estimer.


Je le vis franchir la porte de l’hôpital en me narguant. Il n’avait pas peur de moi et, à aucun moment, je ne l’avais vu courber l’échine devant moi.


Une petite voix en moi me soufflait de ne pas le suivre. ‘Laisse ta colère s’apaiser...’

Mais elle était bien frêle et bien fluette à côté de celle, si puissante, qui guida mes pas jusqu’à lui. Il était furieux.


Il me faisait presque rire, mais quelque chose me poussait à le provoquer. J’aurais tellement aimé avoir une épée entre les mains pour le convier en duel, comme au bon vieux temps. Nous réglions les tensions si facilement, à cette époque-là.

Mais je n’avais pas d’épée et je m’avançai vers lui :

- Tu veux combattre, espèce de mirliflore, alors allons-y !


Mon air arrogant n’avait pas plu au bellâtre, et nous avions combattu, sans répit, dans une lutte acharnée.


L’esbroufeur avait perdu, cela va de soi.


Tout fantôme qu’il était, il n’avait pas mesuré le danger qu’il affrontait, et je l’avais mis à genoux. Je m’en régalai.


- Alors ? Qui est le plus fort ? Accepte de te soumettre à ma volonté, petit ectoplasme.

J’étais tellement sûr de moi, à ce moment-là ; je me sentais tellement supérieur à lui.


Je repris ma forme humaine alors que les gonds d’une nouvelle porte se mirent à grincer pour annoncer la libération d’une autre pièce.

Guidry me foudroya du regard, toujours paré de son aura colérique, et me faisant redescendre de mon piédestal. Il me tutoya, en écho aux propos que je lui avais tenus un peu plus tôt :

- Bravo Ancelin. Une nouvelle chambre vous est accessible à tous, grâce à ta jalousie. Sache que je n’ai jamais envisagé de te prendre Odely. Je connais votre histoire. Je t’ai simplement mené là où je le voulais. Cette querelle était mon but.


Je l’observai, interloqué :

- Que veux-tu dire ?


- Rien de plus, et rien de moins que ce que je viens de te dire. Je t’ai poussé à la colère pour que tu me combattes. L’hôpital m’a bien aidé. Nous sommes à présent ennemis jurés mais, u jour, nous deviendrons sûrement amis. Laissons le temps effacer cette improbable mais nécessaire fâcherie. Je dois y aller, maintenant.


Le jour s’était finalement levé. Guidry s’était bien moqué de moi, et je me félicitai de n’avoir eu aucun témoin de notre discorde.

Je rejoignis la chambre des femmes pour terminer la lecture du journal de Susumu.

Mes pensées vagabonderaient ainsi vers d’autres lieux et d’autres vies... Un triste exutoire pour oublier... et, peut-être... de nouvelles révélations.



5 vues

Posts similaires

Voir tout
bottom of page