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  • Photo du rédacteurNathalie986

Chapitre 7

Ancelin - Les amants maudits

Les Mercenaires de l'impossible


Point de vue d’Ancelin

Nous nous apprêtions à entamer notre septième journée en ces lieux maudits...

Mes amis s’étaient levés d’humeur radieuse ce matin. Ils avaient dormi et mangé, ils s’étaient lavés, et étaient maintenant prêts à affronter les surprises que cette journée nous réserverait. La nature humaine était ainsi faite que ces pauvres êtres ne pouvaient faire grand-chose avant d’avoir satisfait leurs besoins primaires. Je crois que c’est une évidence qui me surprendra toujours.


Odely, a contrario, semblait soucieuse. J’avais intercepté certaines de ses pensées en la croisant dans le couloir tout à l’heure, et avais senti qu’elle redoutait que quelque chose ne vienne ternir cette journée festive. Aujourd’hui, devait se dérouler la fête déguisée du samedi, prévue par les spectres des murs.


Je replongeai le nez dans la lecture du Journal de Susumu. J’en avais découpé la couverture cartonnée, comme il me l’avait conseillé, et avec découvert les autres pages dont il m’avait parlé.

Ce que j’y lus me laissa à la fois pantois et révolté. Il y avait là, des noms, des dates et toutes sortes de preuves et de témoignages... Susumu avait recueilli tout cela avec beaucoup de courage, afin de se sauver et de sauver les autres malades de l’hôpital.


Je savais déjà ce que j’allais faire de ses preuves, si nous pouvions sortir d’ici. J’en connais un qui regrettera d’avoir croisé ma route.

En attendant, je trouvais plus sage de garder ces informations pour moi, afin que les autres ne se laissent pas envahir par la colère. Tout sentiment d’animosité, qui se ressentait ici, pouvait prendre de terribles proportions incontrôlables. J’en avais été pour mes frais, hier, en m’en prenant à Guidry. Il y avait longtemps, pourtant, que les émotions, bonnes ou mauvaises, n’avaient plus prises sur moi, mais ici...

Je fermai le journal et l’emportai avec moi, dans l’idée de le cacher. Peut-être faudrait-il que j’en entretienne Fantine car elle était avisée de son existence.


Je me préparai à descendre l’escalier pour rejoindre le rez-de-chaussée, lorsque j’aperçus Amaël et Fantine en train de discuter dans la salle de méditation.

Leurs échanges avaient l’air beaucoup plus qu’amicaux. Je restai les observer quelques minutes avant d’emprunter l’escalier.


J’avais caché le journal sous l’une des céramiques. L’opération avait été aisée. En grattant le plâtre, j’avais pu faire un trou suffisamment grand pour y glisser l’oeuvre de Susumu, puis j’avais recollé le carreau. Personne ne risquait de découvrir mon forfait puisque la céramique utilisée était située derrière le réservoir des toilettes du rez-de-chaussée.


En regardant par la fenêtre, je vis arriver la livreuse envoyée par Juju.

Doreen aussi était dehors, en train de regarder le tas de déchets qui embellissait pitoyablement l’entrée de l’hôpital. J’espère qu’elle n’était pas en train de se demander si elle aurait pu mieux faire qu’Audric. Un incendie était bien suffisant.


J’allai à la rencontre de la livreuse. En ouvrant la porte, je m’aperçus qu’elle se faisait attaquer par de petits spectres rouges. La pauvre fille me tendit le sac en papier qu’elle tenait sous son bras, puis elle partit prestement, sans même attendre mon pourboire.


C’était la première fois que nous voyions ces spectres en plein jour. Jusqu’à présent, ils ne s’étaient manifestés que la nuit. Était-ce les coups frappés à la porte qui les avaient attirés ou le fait qu’une personne étrangère à notre groupe se présente ici ? Le mystère était entier mais je pus constater que quelque chose les avait contrariés au point qu’ils se mirent à éructer des flammes que je dus esquiver rapidement.


Audric, dans le même temps, se faisait attaquer par une ou plusieurs créatures invisibles, du même ordre que celles qui s’en étaient prises à Odely, la veille.

- Audric ! l’apostrophai-je. Tu as besoin d’aide ?

- Non ! Je ne crois pas !


J’arrivai à sa hauteur au moment où il se relevait.

- J’étais sur le point de leur jeter un sort de visibilité lorsqu’elles ont disparu. Je me demande où elles sont passées. J’espère qu’elles ne sont pas restées dans l’hôpital. C’est assez flippant de se faire attaquer par des trucs invisibles.


En réalité, alors que nous discutions, les créatures s’en prenaient à Doreen, et la poursuivaient.


- Tu sais, Ancelin, je tiens à te remercier de m’avoir proposé ton aide. Depuis ce fâcheux incendie, j’ai l’impression que tout le monde m’évite. Je crois que je ne participerai pas à la soirée déguisée, ce soir.

- Ne dis pas de sottises. Ce soir, tu seras avec nous. Tu n’es pas directement responsable de ce qui est arrivé. Ce sont ces murs qui amplifient notre colère. J’en ai moi-même fait l’expérience en menaçant et en combattant Guidry. Il est furieux contre moi, à présent.


Audric avait rigolé à l’idée que j’eus pu me faire un ennemi de Guidry, le fantôme si courtois et si bienveillant, puis il avait accepté de me suivre pour une partie de pêche.


- Je crois que tu as raison. C’est l’hôpital qui nous fait faire des trucs bizarres. Jamais, en temps normal, je n’aurais eu l’idée de mettre le feu aux détritus, même si j’avoue que leur vue et leur odeur me retournent le cœur. J’ai eu l’impression d’être comme possédé...

- C’est aussi mon impression. Et d’ordinaire, la possession ne touche pas les vampires. C’était une sensation suffisamment curieuse pour que l’on s’en inquiète. Je vais parler aux autres. Ils comprendront mieux tes actes, de cette façon.


- Je ne sais pas... Odely leur a déjà parlé.

- S’ils savent qu’eux-mêmes peuvent être victimes du même phénomène, je reste convaincu qu’ils te pardonneront. Nous vivons en vase clos. Nous devons tous nous soutenir.


Nous restâmes un moment pêcher en silence, admirant la beauté et le silence du lieu, puis je déployai mes ailes pour aller faire un tour sur le petit îlot qui se trouvait au milieu du lac. La vue, de ce côté, était encore plus remarquable.

Je m’approchai de la tombe qui se trouvait là, au pied d’un arbre tordu au milieu, pour y lire l’épitaphe :

« Ci-gît Aurora, notre déesse bien-aimée, sœur de la Lune et du Soleil, arbitre entre le jour et la nuit, le Bien et le Mal. Repose en paix. »

Une déesse ? Je n’avais jamais cru en ces entités surnaturelles et celle-ci me donnait raison. Les dieux n’étaient-ils pas, par essence, immortels ?


Je m’envolai alors jusqu’au manoir et atterris dans le salon. Ce soir, nous fêterions... une fête, sans même que nous sachions pourquoi, mais c’était la troisième de la semaine et, d’expérience, je savais que ce genre de réjouissances remontait le moral du groupe.

Tout le monde buvait, rigolait et s’extasiait sur tout et n’importe quoi, et ces petites frivolités semblaient faire oublier à tous la raison véritable de notre présence en ces lieux pendant quelques heures, notre mission.


Je fréquentais les humains depuis de nombreux siècles pour savoir qu’ils aimaient festoyer, peu importe leurs obligations. Et certains festoyaient plus que de raison.

Je leur donnerai donc de quoi s’amuser ce soir. Un de mes petits cocktails maison qui avait fait ses preuves au fil de plusieurs lustres et dont je m’étais servi, à plusieurs reprises, de manière inavouée par le passé, pour obtenir ce que je voulais.

Aujourd’hui, mon fabuleux cocktail de jus permettrait à mes amis de se détendre. J’avais même trouvé quelques petits parasols décoratifs que j’avais prévu de rajouter à la dernière minute, afin que mon breuvage parut plus ludique.


Après ce petit intermède mixologique, je me fis un devoir d’expertiser un vase que nous avions trouvé, Odely et moi, lors de notre dernier séjour à Selvadorada.

Nous avions ramené à l’hôpital quelques-unes de nos trouvailles dénichées dans la jungle et, jusque-là, je n’avais pas eu le temps de m’en occuper vraiment. J’ignorais si ma femme avait analysé celles qui se trouvaient en sa possession, mais j’avais bien l’intention de prouver que ce vase était authentique. L’archéologie était une de mes passions depuis fort longtemps.

Après avoir prélevé quelques échantillons et décrypté les inscriptions présentes sur la terre cuite, je remballai mon matériel pour monter à l’étage et m’employer à aménager les deux chambres que nous avions débloquées la veille grâce à Susumu et Guidry.


Odely m’avait apporté son aide et j’avais gardé, pour la fin, la surprise que je lui réservais :

- Un cercueil ?! s’était-elle exclamée.

- Nous le partagerons à tour de rôle, si tu veux bien. Je l’ai acquis pour une poignée de simflouz, chez Juju. Ce n’est pas le grand luxe auquel nous sommes habitués, mais il fera l’affaire. Cette chambre est la nôtre.

- Tu es merveilleux, Ancelin. Je sais pourquoi je t’.......

Elle s’était interrompue. Il y a des mots qu’on s’interdit, aujourd’hui... Nous étions d’accord là-dessus. Alors, elle reprit, comme si de rien n’était :

- Je sais pourquoi je t’estime tant.


Au même moment, alors que la nuit s’était installée, le sol se mit une nouvelle fois à trembler dans tout l’hôpital, et les murs se mirent à gémir.

Fantine, qui avait rejoint sa chambre, pour se préparer à la soirée, se fit attaquer par les créatures invisibles, comme l’avaient été précédemment Odely, Audric et Doreen.

Amaël, qui lui, avait déjà revêtu son déguisement et faisait quelques pas dans le jardin en attendant le début des festivités, vit surgir devant lui une plante maléfique semblable à celle qui ornait déjà notre perron.


Nous nous rejoignîmes au salon lorsque l’hôpital s’apaisa. Chacun fit part aux autres de ses dernières expériences surnaturelles survenues au cours de la journée et j’en profitai pour glisser ma mésaventure avec Guidry ainsi que celle d’Audric avec l’incendie. Mes amis réalisèrent que personne n’était à l’abri, et Audric fut accueilli de nouveau, à bras ouverts dans notre groupe.

La petite fête avait pu alors commencé. Odely et moi avions revêtu, sans nous concerter, les tenues que nous portions le jour de notre rencontre. J’étais alors un pirate sans cœur et elle, un princesse héritière promise à un noble roi dont je ne citerai pas le nom, car il a peu d’intérêt ici.

Amaël aurait pu être ce roi, mais son allure et son port de tête étaient bien plus distingués que ceux de celui que j’avais dû occire, à l’époque.


Fantine s’était déguisée en fée. Cela allait très bien à sa douceur et à sa gentillesse.

Quant à Audric, il arborait avec élégance un costume de marin, en hommage à ces ancêtres qui avaient sillonné toutes les mers du globe et parcouru milliers de miles, uniquement par amour de la mer.

Mes petits parasols semblaient faire leur effet et je n’en étais pas peu fier.


Doreen et Yoram ne s’étaient pas luxés pour choisir leurs costumes.

Yoram avait plongé dans son uniforme de soldat sixamien (le vrai), tandis que Doreen était paré d’un drap blanc agrémenté d’une ceinture et qu’elle avait noué ses cheveux en deux macarons de chaque côté de ses tempes. Elle avait dit être la princesse Leia de Star Wars... oui... peut-être. Mais j’étais là, à la sortie de ce film populaire et nous avons, Odely et moi, rencontré Carrie Fisher, l’actrice qui jouait ce rôle, en 1978. Doreen ne lui ressemblait pas du tout... mais peut-être que cette histoire de déguisement m’échappe. Je n’eus pas le temps de m’appesantir su le sujet.

Le sol trembla à nouveau, faisant tintinnabuler les verres que nous avions reposés sur la table. Amaël et Fantine ne contrôlaient plus leur effroi.


Heureusement, l’effet ne dura que quelques secondes, et chacun reprit sa place.

C’est à cet instant qu’Audric remarqua le pendentif qui ornait le buste de Fantine.

- Où as-tu eu cette pierre ? lui demanda-t-il.

- C’est mon père qui me l’a donnée. C’est un souvenir précieux.

- Bon sang ! Mais tu ne sais même pas à quoi elle sert, alors ?

- Elle ne sert à rien, Audric. C’est un diamant brut qui a été taillé pour en faire un bijou. Il a une valeur sentimentale. Rien de plus.


Je n’ai jamais cru aux coïncidences et je me levai alors dans l’idée d’examiner la pierre de plus près. Audric était un jeteur de sorts reconnu dans son milieu, et je l’avais nettement vu reconnaître la pierre.

- A quoi te fait penser cette pierre ? lui demandai-je sans vouloir heurter Fantine.


Il n’eut pas le loisir de me répondre. Un vacarme épouvantable retentit dans tout l’hôpital, et chacun quitta son siège. Guidry fit son entrée, quelques secondes après, dans la pièce.

- Elle est là. Elle a trouvé le moyen de revenir. Faites très attention.

Odely avait saisi l’allusion tout autant que moi :

- Viens, Ancelin... Nous devons l’affronter.


Nous avions traversé le premier couloir, puis la réception, avant de nous retrouver face à ELLE. Elle était identique à la première fois que nous l’avions vue, vingt-deux ans plus tôt, toujours malfaisante et autoritaire :

- Alors, vous êtes de retour ? nous dit-elle. Vous n’avez pas encore compris que ma fureur domine les lieux et que vous êtes de petits vampires insignifiants, face à moi ? Partez de suite !


- Nous n’irons nulle part. Nous t’anéantirons, quoiqu’il nous en coûte. Ta malveillance ne nous fait pas peur.

Odely m’appuya. A deux, nous faisions front contre elle :

- C’est toi qui va-t’en aller, créature du malin. Nous ne plierons jamais devant toi.


Nos propos ne l’atteignirent malheureusement pas. Pour asseoir ses propos colérique, elle fit apparaitre une autre de ses poupées maléfiques à nos pieds.


Je vis Odely devenir aussi furieuse qu’elle l’avait été en ce jour de 1989 où la malédiction de Tempérance nous avait frappés. Je redoutai le pire, Tempérance n’étant pas fantôme à se laisser intimider.


- Tu oses t’adresser à moi de la sorte, petite vampire insipide ! Tu as pourtant subi, une fois déjà, le revers de ma colère.


Par instinct de protection, je me rapprochai d’Odely. Quoiqu’il advienne, je ne permettrai pas à cette chose de lui faire du mal, puisse-t-il en aller de ma vie.

Les deux femmes se mesuraient du regard, et aucune ne baissait les yeux.

J’entrepris alors d’ouvrir le dialogue avec la folle furieuse :

- Veux-tu bien m’écouter une seconde ? Nous pourrions peut-être nous entendre.


- Ah oui ? Et en quoi ce que tu pourrais me dire pourrait-il m’intéresser ? De ce que je sais, tu n’as pas grand-chose à offrir à part le désespoir d’avoir perdu ta femme, grâce à moi.


Il me fallut me faire violence pour ne pas succomber à la colère qui m’envahissait à nouveau. Odely m’y aida. Elle s’était calmée et m’envoyait ses pensées apaisantes, loin de la portée haineuse de Tempérance.

- « Parle-lui agréablement... ne te laisse pas subjuguer par l’aura qu’elle dégage... je suis avec toi... Je t’aime... Ne la laisse pas faire... »

Je t’aime... Elle avait prononcé les mots alors même que nous nous les étions interdits. Mais ces mots étaient ma force. Elle le savait.


Je pliai alors devant la furie de Tempérance, sachant Odely à mes côtés, imperturbable :

- Noble Dame... Tu nous as séparés, ma femme et moi, il y a de nombreuses années de cela. Nous ne sommes pas ici pour te nuire mais pour implorer ta clémence et faire en sorte de retrouver de retrouver notre amour perdu. Nous pouvons te proposer un marché qui pourrait te convenir.


- Tiens donc ! Et quel marché serait susceptible de m’intéresser au point de vous rendre cet amour auquel vous tenez tant ? Après tout, j’ai perdu le mien et je ne vois pas pourquoi vous auriez, tous deux, la jouissance de profiter du vôtre alors que je ne le puis de mon unique amour... Et la malédiction vous va si bien...


Odely m’épaula de son plus beau sourire de faux complice alors que je m’évertuais à parlementer avec Tempérance.

- Tu sais que nous ne sommes pas revenus seuls ici. De puissants jeteurs de sorts et un extraterrestre se sont alliés à nous pour refermer la faille qui te maintient dans ce monde. Il serait si facile pour Odely et moi de mal les orienter afin qu’ils n’atteignent leur but. Nous saboterions leur travail pour que jamais ils ne puissent t’enfermer en Enfer.


Tempérance nous observa, l’un après l’autre, évaluant certainement la sincérité de mes propos, mais elle ne connaissait pas la faculté des vampires à déguiser leurs émotions. Nous étions de marbre.

- Très bien. Je vais lever la malédiction mais, en retour, vous devrez me rendre compte de tout ce qui se passe dans votre groupe de mercenaires de pacotille. Et jamais, vous ne devrez aller contre moi, sous peine de voir la malédiction s’abattre sur vous à nouveau. Aujourd’hui, il suffit que vous vous touchiez pour que vous périssiez. Demain, si vous me trahissez, un seul regard entre vous suffira à votre perte. Etes-vous d’accord avec ça ? Si vous l’êtes, serre-moi la main, Ancelin.


Odely avait transpercé mes pensées pour me pousser à accepter. Nous savions tous les deux que nous n’irions pas au bout de ce marché, mais nous avions décidé de le ratifier, en ayant l’intime conviction que nous viendrions à bout de la furie. Notre espoir ne faisait qu’un, et c’est ainsi que je saisis la main de la « tempête rouge ».

Elle avait l’air tellement sûre d’elle, tellement contente, ignorante de ce que nous luis réservions...


Elle me pria de m’agenouiller auprès d’elle pour sceller ce pacte infâme, et je dus poser mes mains sur les siennes pour qu’elle puisse faire cesser la malédiction.

J’occultai alors mes pensées pour ne pas qu’Odely ressente la méfiance que j’avais envers cet ectoplasme. Nous la savions capable de tout et je ne voulais pas qu’elle y songe en cet instant.


Tempérance se redressa ensuite, violente de jalousie et de colère :

- Allez-vous-en, maintenant, et vivez votre amour. Mais n’oublie pas ta promesse, Ancelin... ou je te le ferai payer au centuple.


Tempérance avait alors disparu, plus rapide qu’une vitesse vampirique. Odely et moi, nous étions retrouvé seuls, conscients que les minutes nous étaient comptées, et nous étions montés dans la chambre au cercueil. Nous n’ignorions pas que Tempérance avait pu nous tromper, autant que nous envisagions de le faire avec elle. Odely avait la voix qui tremblait lorsqu’elle s’exprima. Elle n’osait même pas me regarder, trop épeurée par les menaces que le fantôme rouge avait énoncées à notre encontre :

- Tu crois sincèrement qu’elle a levé la malédiction, Ancelin ? Elle pourrait faire de nous ce qu’elle veut. Nous nous aimons tellement. Un seul regard et nous brûlerions en Enfer.


- Il n’y a qu’un moyen pour le savoir... lui avais-je répondu, aussi effrayé qu’elle.

Puis je m’étais approché d’elle, affichant l’air le plus confiant que je pouvais étaler, au vu des circonstances. Elle était proche de moi, ma femme, mon amour... après vingt-deux ans de séparation charnelle... Un sourire se dessinait sur ses lèvres... elle espérait, et j’avais décidé de « faire confiance » à Tempérance.

Elle comptait sur nous pour éviter sa perte. Elle ne pouvait donc pas nous avoir joué un mauvais tour.


- On va commencer doucement, dis-je à Odely. Tu te souviens de notre première rencontre ?

- Tu avais pris ma main et l’avais portée à tes lèvres.

- Aie confiance, lui murmurai-je à l’oreille.

Mes gestes furent les mêmes que cette fois-là. Je saisis sa main et embrassai ses doigts délicats. Aucune foudre... aucun feu ne nous sépara. Tempérance avait tenu sa promesse.


Odely se hasarda donc à m’embrasser le bout du nez, comme elle adorait tant le faire aux premiers jours de notre mariage, avec douceur et sensualité, avec bonheur et amour.

J’étais aux anges. En vingt ans, j’avais tant rêvé ses bai.sers et ses mains frôlant mes joues. Cette nuit, cela arrivait...


Nos lèvres s’effleurèrent, timidement d’abord puis passionnellement ; elles se retrouvèrent comme si elles ne s’étaient jamais perdues... et sa main si douce sur ma joue...


J’avais l’impression de tournoyer, ivre de la retrouver, ivre de son amour, ivre de ses baisers... Je ne voulais plus m’en passer. Pourtant, nous avions choisi le contraire.


Et je sentais encore ses mains sur mes joues... Elles réchauffaient mon cœur si froid de vampire... Elles m’apaisaient, me rassuraient... Elles me touchaient comme si elles ne m’avaient jamais abandonné... et je fermai les yeux pour espérer que cela dure... pour l’éternité.


Pendant ce temps, Opaline faisait face à Tempérance, lui barrant l’accès au salon, où se trouvaient réunis tous nos amis. Elles étaient prêtes à combattre.


- Cela faisait si longtemps...

- Et pourtant, je n’ai pas oublié l’odeur de tes cheveux, ni le parfum de ta peau si douce.

- Moi non plus, je n’ai pas oublié, Ancelin.


- Tu penses à ce que je pense ?

- Bien sûr que j’y pense !


Au salon, l’heure n’était plus à la fête. Guidry essayait de rassurer nos amis, mais c’était peine perdue. La peur les avait saisis, un par un.


Nous étions dans notre bulle, inconscients de ce qui se passait au rez-de-chaussée. Nos deux cœurs battaient à l’unisson. Il y avait si longtemps...


...mais c’était presque comme si c’était hier.


Je l’accueillis dans mes bras, l’amour de mon éternité...


... pour l’étreindre dans un souffle et ne plus la laisser partir.


Nous étions tellement en phase que notre cercueil se retourna, nous laissant choir sur le sol, apaisés, sans que nous ne nous y attendions.


Son rire cristallin se communiqua à moi, un rire qui avait déserté son visage depuis plus de vingt ans. Je m’en étourdis, riant avec elle pendant de belles et longues minutes, lové contre son corps.


Je pris sa main pour l’aider à se relever. Elle aurait pu le faire seule mais je voulais retrouver ces gestes qui avaient fait notre quotidien, autrefois, un quotidien fait d’amour et de galanterie, et d’attentions que nous avions chaque jour, l’un envers l’autre... jusqu’à ce tout bascule.


Opaline avait rejoint les autres pour leur annoncer qu’elle avait échoué à tenir Tempérance à distance. Elle ignorait où la furie avait disparu, et elle les avertit de sa possible venue dans cette pièce.


Mais Tempérance avait d’autres projets. Elle n’avait pas supporté de toucher du doigt le bonheur qu’elle nous avait rendu, et envisageait de terrifier plus qu’ils ne l’étaient déjà, tous les habitants de l’hôpital.


Odely et moi étions sortis prendre l’air au jardin en passant par les corridors extérieurs, pour ne croiser personne. J’avais attrapé le bout de son nez, comme j’aimais tant le faire pour la taquiner.

- Veux-tu bien laisser mon nez tranquille ? Ce geste-là ne m’avait pas manqué, je t’assure.

- Il te manquera, lorsque je ne pourrai plus le faire.

- Je préfère de loin tes baisers, tu le sais, non ?


Je l’entourai alors de mes bras pour l’embrasser tendrement sur la tempe.


- Cette nuit est sûrement la dernière que nous passons ensemble avant un moment. Une sorte de trêve. Je ne pense pas que Tempérance mette longtemps à comprendre que nous allons la trahir.

- Je crains qu’elle ne s’en aperçoive dès demain. L’évidence lui sautera au visage lorsqu’elle verra qu’on continue à aider les autres.


- Ancelin... Nous nous retrouverons bientôt. J’en ai la certitude. Nous la vaincrons.

- J’en suis persuadé, moi aussi. Nous les renverrons directement en enfer, elle et sa malédiction.


Cette nuit-là, nous remîmes nos alliances, symboles de notre mariage et de notre amour, mais aussi de l’espoir qui nous habitait, d’en finir une fois pour toute avec la furie.


Nous étions montés nous allonger dans l’une des chambres, sachant que la nuit prochaine, nous ne pourrions plus nous toucher, ni même nous regarder.

Alors, je l’avais serrée contre moi et pris sa petite main dans la mienne.


Ce furent les cris d’Opaline qui me sortirent de ma torpeur.

- ARRÊTE ! Mais qu’est-ce que tu fabriques, pauvre folle !


D’un simple mouvement de son index, Tempérance avait envoyé Opaline au fond de la pièce.


J’arrivai au moment où elle fit apparaître, derrière elle, son armée de spectres malfaisants. Opaline avait couru au salon pour rejoindre les autres.


- Je ne sais pas ce qu’elle mijote, mais elle a réuni son équipe.


Par ses incantations, Tempérance venait de faire surgir de terre une sorte d’arbre à mains, non loin de la poupée maléfique dont elle nous avait fait cadeau précédemment. Je l’observais, impuissant, ne sachant comment réagir.


L’un de ses spectres m’avait repéré et me toisait en en ricanant.


La vitesse vampirique m’épargna, de justesse, la rencontre avec ses armes de feu.


Je rejoignis la pièce lorsque j’entendis Tempérance leur intimer l’ordre de se calmer.

Elle s’adressa ensuite à moi, ses disciples bloquant toutes les issues :

- Espèce de traître, tu croyais que vos conversations à Odely et à toi n’arriveraient pas jusqu’à mes oreilles ? Je suis omniprésente, ici. Cet hôpital est à moi. A compter de cette seconde, tu ne pourras plus la regarder ou la toucher. Et, pour pimenter mon superbe sortilège, tu devras offrir le bout d’âme qu’il te reste à l’un de mes petits compagnons. Si tu ne le fais pas, j’enverrai l’un d’eux faire griller ton unique amour.


Je savais qu’Odely dormait encore aussi paisiblement que lorsque je l’avais laissée tout l’heure, ignorant tout du choix que je m’apprêtais à faire, un choix terrible opposant la raison à l’amour que j’avais pour elle.


Elle m’aurait certainement supplié de conserver le peu d’âme qu’il me restait, la seule chose qui me permettait de l’aimer encore. Elle aurait ajouté qu’elle saurait se défendre contre ces êtres paranormaux, comme elle l’avait toujours fait, qu’aujourd’hui n’était pas différent, et qu’il ne fallait pas que je m’inquiète pour elle.


Mais elle aurait eu tort. Je m’inquiétais toujours pour elle, et je me refusais à être celui qui mettrait fin à ses jours. Elle finirait par être heureuse sans moi, elle m’oublierait...

J’acceptai donc le marché et vit se retirer de moi, le dernier morceau de mon âme. Le petit spectre sembla heureux du cadeau que je lui offris et j’entendis, au loin, les gonds de plusieurs portes grincer.


Un peu plus loin, Guidry annonçait aux autres que j’avais perdu mon dernier bout d’âme.

- Et qu’est-ce que cela signifie ? avait demandé Audric naïvement, tout en se doutant de la réponse.


- Cela signifie que, sans son âme, Ancelin peut être très dangereux.

- Alors, il va falloir trouver un moyen pour la lui rendre, avait déclaré Yoram.


Je ne ressentis plus rien. Aucun regret, au remord, plus d’inquiétude pour qui que ce soit. J’avais perdu mon âme mais j’étais débarrassé de toute émotion inutile. Je me sentais bien.

Tempérance avait décidé de quitter l’hôpital pour ce soir :

- A présent, tu pourras la regarder et la toucher. Tu pourras même la tuer, s’il t’en vient l’envie. Mais jamais plus, tu ne l’aimeras. Elle en aura le cœur brisé.


Je m’en moquais éperdument. Le spectre, reconnaissant, venait de déposer à mes pieds, une urne qui ressemblait à un bonbonnière. Je m’empressais de la faire disparaître afin que mes coéquipiers ne tombent pas dessus. Je ne voulais pas qu’ils sachent trop tôt, que j’avais traité avec Tempérance.


Pour le moment, je devais uniquement me soucier de satisfaire un besoin primaire. Je n’aspirais qu’à une chose : chasser, et me nourrir de sang frais jusqu’à épuisement de son hôte.

Le jour se levait, personne ne se méfiait, et je trouverais ma proie.



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